Avec Boris sans Béatrice, les fidèles de Denis Côté se retrouveront en terrains connus et s’amuseront à dépister les thèmes qui ont marqué l’œuvre de l’auteur. Le renfermement sur soi, le mystère lié à l’apparition inattendue, le réveil des consciences, le rapport à la nature, et j’en passe, autant de symboles qui marquent de leur empreinte ce film. On y voit aussi, entre autres clins d’œil, des canards empaillés rappelant l’ouverture de Bestiaire, Roc Lafortune (Curling), l’accent d’une langue slave (Nos vies privées), la piste de course de Vic + Flo et l’univers manufacturier de Que ta joie demeure.
Pour autant, malgré ces nombreuses références rassurantes, Boris sans Béatrice détonne tant dans son univers baroque que dans son histoire de rédemption plus ouverte et plus généreuse qu’à l’habitude et plus fortement arrimée à une certaine réalité québécoise. Habitué aux personnages de la marge, Côté se penche cette fois sur des personnages issus des classes sociales dominantes, produits par un Québec riche et prospère. De plus, et même si l’on replonge dès le premier plan dans le cinéma de l’hyper-réalité qui lui est propre, le ton, ouvertement satirique et pleinement assumé, apparaît lui aussi en rupture avec le naturel de ses précédents films. De plus, le rire, d’habitude si bien utilisé pour faire ressortir l’absurdité des situations, cède sa place à quelques répliques qui font à peine sourire.
Autant le dire sans détour, les grosses métaphores de cette satire aux accents fantastiques ne nous ont pas convaincus. Pas plus que la modélisation en quatre exemplaires d’un prototype caricatural de femme « moderne », soit rebelle gauchisante, soit en statue prostrée et dépendante, soit en servante docile et admiratrice, ou en maîtresse soumise. Dans la bouche de personnages difficiles à endosser, les dialogues sont souvent pontifiants (dans le rôle de la conscience, Denis Lavant finit par agacer), tandis que le jeu théâtral et les références à la mythologie grecque (l’exubérante scène d’Oreste et d’Alceste) rendent le tableau trop chargé.
Mais c’est surtout dans son message finalement assez réducteur que Boris sans Béatrice s’avère décevant. L’audace de la proposition esthétique ne repose en effet que sur une vision assez limitée et très convenue de nous-mêmes dans laquelle le regain de santé de Béatrice (la libération de la femme?) ne peut se réaliser pleinement que si son conjoint procède à une rédemption complète et reprend le contrôle sur ses rôles de père, de fils et de mari.
Heureusement qu’il y a Boris, la seule véritable satisfaction du film. Industriel sûr de lui et assez peu porté sur la chose philanthropique, il vit en autarcie dans son monde préfabriqué. Son personnage possède la profondeur voulue et évolue sur plusieurs gammes d’émotions, allant de la froideur la plus antipathique à l’empathie la plus sincère. Habité par James Hyndman que l’on redécouvre avec joie au cinéma, Boris est un visage fort, aussi assuré dans ses moments de pure arrogance que lorsqu’il fait face à l’effondrement de ses plus profondes convictions. Mais cela ne suffit pas. Car même s’il porte une grande partie du film sur ses épaules, son personnage s’essouffle dans sa quête de cohérence au milieu de ce chaos baroque.
Boris sans Béatrice – Québec, 2015, 1h33 – un homme arrogant dont la femme est plongée dans une profonde neurasthénie rencontre un mystérieux inconnu qui lui donne les clés pour qu’elle aille mieux – Avec: James Hyndman, Simone-Élise Girard, Denis Lavant, Dounia Sichov, Isolda Dychauk – Scénario: et Réalisation: Denis Côté – Production: metafilms – Distribution: K-Films
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