[Critique] Chasse-galerie la légende : un pont entre deux rives

Nourri de tensions, Chasse-galerie la légende, nous apparaît de prime abord comme l’opposition de lieux aux coutumes et aux manières radicalement différentes. La chasse-galerie, sorte de pont entre ces deux rives, unit les amants et brise les barrières sociales. En délaissant quelque peu le côté folklorique de son projet, Jean-Philippe Duval nous livre là une production qui se démarque des films historiques québécois traditionnels.

Photo officielle de Caroline Dhavernas et Francis Ducharme dans une scène du film Chasse Galerie (courtoisie eOne)

Caroline Dhavernas et Francis Ducharme dans Chasse Galerie (courtoisie eOne)

S’inscrivant à part dans la courte liste des films historiques produits ici, Chasse-galerie la légende propose une recréation intéressante des premiers défricheurs du Québec par sa capacité à ne pas faire du côté folklorique de son scénario son seul cheval de bataille. La construction de ce troisième film de Jean-Philippe Duval est en effet habile dans sa manière donner l’illusion d’un voyage en terre inconnue propice à la légende et au mythe, grâce à de multiples allers-retours entre ville et forêt, mondes parallèles que tout oppose représentant tour à tour la civilisation et la sauvagerie.

D’abord, la ville, ordonnée, contrôlée par des notables où se jouent des machiavélismes maniérés à la lumière feutrée des lampes à huile et où les tentations et les fantasmes prennent forme dans le luxe des salons bourgeois, à l’écoute d’un doucereux concerto classique. À mille lieues de ce monde éduqué et déjà presque contemporain, le cadre hostile d’une forêt inhospitalière laisse entrevoir toute la bestialité de l’être humain. C’est le pays des bûcherons, sortes d’aventuriers des temps modernes, reclus dans un monde glaciaire resté à l’état brut. La concession – située le long de la Manouane, comme pour mieux nous rappeler le célèbre documentaire d’Arthur Lamothe – est dépeinte comme le lieu de toutes les rudesses. Ici, les combats ne sont pas des jeux de pouvoirs politiques, et les manigances sont moins subtiles. On est au pays des rustres. Ce que traduit très bien le film grâce à une trame sonore plus forte ou des dialogues déclamés de façon plus brutale, plus saccadée.

Coincé entre ces deux univers irréconciliables, un couple à l’idylle symbolique, certes convenue et prévisible, mais qui propose néanmoins dans ses personnages de Jos Lebel et Liza Gilbert (Francis Ducharme et Caroline Dhavernas) une vision de jeunes Québécois de modeste condition qui aspirent à une vie plus stable et plus riche. Par leur union, ils transgressent les barrières des classes sociales. Le diable se chargera de les remettre à leur place, en essayant de briser leur union. Le personnage de ce Satan nommé Jack Murphy, dandy anglophone incarné avec toute la distance voulue par François Papineau, véhicule d’ailleurs une belle dose d’ironie puisque son influence sur les âmes et sa capacité à altérer la destinée des Canadiens français n’est pas sans évoquer la domination des Anglais sur le Québec de l’époque.

S’il est basé sur une légende québécoise centenaire qui fait forcément appel à notre fibre nationaliste, l’intérêt de Chasse-galerie la légende se retrouve aussi là où on ne l’attendait pas forcément. Par l’utilisation de cette chasse-galerie, sorte de pont entre deux rives, Duval nous livre donc une épopée collective définitivement plus approfondie que bien des drames historiques produits au Québec durant ces quinze dernières années.

Chasse-galerie: la légende – Québec, 2015, 1h49 – Au Québec en 1888, Liza et Jos tentent de monter un ménage, mais le diable, qui avait pactisé avec le père de Liza 25 ans auparavant, en a décidé autrement – Avec: Francis Ducharme, Caroline Dhavernas, François Papineau, Vincent-Guillaume Otis – Scénario: Guillaume Vigneault Réalisation: Jean-Philippe Duval – Production: Christian Larouche, Réal Chabot – Distribution: Les Films Christal

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