Aussi pénible que léger. Aussi insupportable qu’attachant. C’est à peu près ce qui résume mon impression sur La femme de mon frère, premier long métrage de Monia Chokri. L’actrice et réalisatrice démontre au moins une chose : elle sait jouer avec les références pour faire un mélange qui lui confère une saveur particulière. On reconnait les clins d’œil aux nouvelles vagues française et québécoise, des dialogues cyniques à la Arcand, le regard satirique de Quelqu’un d’extraordinaire, les personnages des Amours imaginaires, et bien d’autres. Ajoutez à tout ça les jumps cuts, les ralentis, la trame sonore « vintage », les ambiances colorées à la Wes Anderson et vous avez un exemple parfait de film pop, psychédélique et survolté.
Ces sources d’inspiration diverses s’agencent dans un récit échevelé, entre portrait de famille névrosée et dramédie adulescente. Quelques moments touchants émergent ça et là , mais se sont surtout les nombreux moments sarcastiques, passant au tordeur les petits travers et quétaineries de la société québécoise, qui retiennent l’attention. Par la bande, la cinéaste évoque aussi les déboires des diplômés pour trouver un travail à leur mesure, et livre une critique assez raide merci de la sacro-sainte normalité. C’est mordant, souvent pertinent, parfois totalement gratuit, en tout cas très expressif.
Pris un à un, les éléments narratifs possèdent tous une ampleur dramatique intéressante, en dehors sans doute de la relation entre le frère et sa « femme ». Une fois mis ensemble, ils perdent cependant assez rapidement leurs attraits. Il faut dire que le principal écueil du film réside dans son intrigue étirée en longueur. Et plombée de surcroit par une finale rédemptrice, naïve et un brin narcissique, qui détruit à peu près tout ce qui avait été démontré auparavant. Chokri n’a pas osé aller jusqu’au bout de son idée et a ressenti le besoin de se repentir. Peut-être pour mieux faire passer aux yeux du public un personnage central pas vraiment attachant. Le hic c’est que la morale de l’histoire (l’amour arrange tous les maux) tient du cliché, et rompt totalement avec ce qui précède. On sort de la salle avec à l’esprit une seule remarque « tout ça pour ça? ». En outre, le message rassembleur de sa conclusion ouverte aux minorités culturelles (« on vit tous ensemble et il faudrait mieux s’endurer comme on est ») paraît avoir été ajouté a posteriori.
Reste que la distribution, Anne-Élisabeth Bossé en tête, livre la marchandise. On savait que Patrick Hivon, apprécié récemment dans Nous sommes Gold, était très à l’aise dans des répertoires dramatiques. On découvre ici que la comédie lui sied tout autant. D’ailleurs, les séquences les plus réussies, les plus percutantes, sont les repas en famille, qui dégagent un semblant de réalisme, outre le fait qu’elles sont plutôt bien mises en scène. Au final, Monia Chokri confirme son talent de scénariste et offre de belles promesses en tant que réalisatrice.
En bref : Trop long pour ce qu’il a à dire, éventé par une finale plaquée, La femme de mon frère a tout de même quelque chose de particulier dans un paysage cinématographique québécois peuplé de productions institutionnelles plus formatées que jamais.
La femme de mon frère – Québec, 2019, 1h57 – une jeune diplômée sans emploi hébergée par son frère qu’elle adore, voit son univers basculer lorsque ce dernier se trouve une blonde – Avec: Anne-Élizabeth Bossé, Patrick Hivon, Evelyne Brochu – Scénario: et Réalisation: Monia Chokri – Production: metafilms – Distribution: Les Films Séville
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