À l’instar de Robert Morin, Robin Aubert a ceci de particulier qu’aucune de ses propositions ne ressemble à la précédente. Après le surnaturel, le road-trip fauché, le drame familial et un docufiction fantasque-arctique, Aubert se lance avec Les affamés à l’assaut du film de zombies. Il en ressort une sorte de Nuit des morts-vivants bucolique et viscéralement encré dans l’imaginaire québécois. Bicéphale, cet hommage à peine voilé à George A. Romero repose sur le respect d’une bonne part des codes établis par des centaines d’œuvres du même genre avant lui et se retourne comme une crêpe pour mieux transgresser ce à quoi l’on s’attendait. C’est du Aubert, donc c’est surprenant.
Dans sa première partie contemplative, l’histoire ne surprend pas vraiment les connaisseurs, même si l’installation de l’action dans une nature omniprésente représente une cassure marquée. De courtes scènes au montage rythmé dressent les personnages et les lieux. On mesure les forces en présence, on jauge la terreur de ces croque-mitaines cachés dans les bois et on découvre peu à peu l’émoi de quelques survivants qui finiront par se rassembler de manière chorale. Dans sa première moitié, le récit construit l’attente de l’affrontement direct.
Cette période d’observation, qui peut paraître un peu longue, n’utilise que très peu de dialogues. Et lorsqu’il y en a, ils ne se lancent pas dans les explications superflues. En ce sens, Aubert laisse le soin à ses images de parler, d’illustrer ce qui ne peut être résumé en mots, tant l’horreur semble indescriptible. À preuve son utilisation du hors champ comme vecteur de la peur. Ce qui est en dehors du cadre est aussi important que ce qui est visible. L’écran élastique d’Aubert fait merveille. Il ne nous offre qu’une fenêtre partielle sur sa terreur. À notre imaginaire de représenter ce qui reste.
Jusque-là parfaitement construit, Les affamés atteint son « climax » dans une dernière demi-heure s’approchant de la perfection. Ces zombies qui nous paraissaient tout à fait conformes à la norme laissent place à tout un univers parallèle qui n’est pas sans évoquer des problématiques concrètes vécues par nos régions, tout en nous transportant du côté du fantastique. Avec comme point de ralliement de ses hordes sauvages des sculptures totémiques, faites de chaises ou de jouets, comparables à des tours de Babel rudimentaires ou à des menhirs rassembleurs.
Et comme dans tout combat entre bien et mal, il doit y avoir un dénouement final, Aubert le prend à sa manière. Il ne se contente pas d’un règlement de compte où les gentils triomphent trop simplement des méchants. Au contraire, il fait le choix d’une démesure violente et graphique qui ne laissera (presque) personne vivant. Un ultime chaos qui finit de donner à son film une classe vraiment à part, jamais vue dans le cinéma québécois. Et si l’on peut regretter quelques détails factuels pas toujours maîtrisés et des épisodes comiques qui n’apportent pas grand-chose à l’histoire, on doit reconnaître que Les affamés n’a pas de mal à s’installer en tête de notre palmarès des meilleures productions de genre produits commercialement au Québec depuis les années 80.
Les affamés – Québec, 2017, 1h36 – Par forêts et vallées, quelques résidents à bout de souffle tentent d’échapper à une horde de zombies affamés – Avec: Marc-André Grondin, Monia Chokri, Charlotte St-Martin, Brigitte Poupart – Réalisation et Scénario: Robin Aubert – Production: La maison de prod – Distribution: Les Films Christal
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