[CRITIQUE] Nous sommes Gold: chronique abitibienne

Développant en parallèle plusieurs histoires individuelles et collectives, Éric Morin dépeint avec justesse l’atmosphère d’une communauté où chacun vit son deuil et sa culpabilité à différents niveaux.

Emmanuel Schwartz dans le film Nous sommes Gold d'Éric Morin (le comédien joue de la guitare sur un divan avec un bandeau lui masquant presque tout le visage)

Emmanuel Schwartz dans Nous sommes Gold d’Éric Morin

Après un premier long métrage au récit inspiré de la visite de Jean-Luc Godard en Abitibi, Éric Morin signe avec Nous sommes Gold un film plus ambitieux, centré sur le portrait d’une région isolée marquée par une tragédie minière encore présente dans les esprits. Développant en parallèle plusieurs histoires individuelles et collectives, le réalisateur dépeint avec justesse l’atmosphère d’une communauté où chacun vit son deuil et sa culpabilité à différents niveaux et selon différentes temporalités. Le retour dans cette ambiance tendue d’un personnage extérieur agit comme détonateur de lourds secrets et redonne vie aux ressentiments de toutes sortes. Le schéma est connu, mais Morin parvient à lui procurer une tournure originale en créant un noyau solide (le groupe de rock), au sein duquel ses protagonistes trouvent refuge pour oublier leurs expériences.

Ainsi, le tourment ressenti par Marianne (Monia Chokri), qui se retrouve blâmée pour avoir tout quitté sans prévenir, se conjugue à les problèmes professionnels qui se déroulent de l’autre côté de l’Atlantique et qu’elle ne peut subir qu’à distance, impuissante. Les phobies de Kevin (Patrick Hivon) dessinent les contours d’un être complexe qui n’a jamais accepté sa condition de survivant. Le dénouement de son malaise sera l’objet d’un rebondissement choquant, mais peu développé. Pour sa part, Christopher, incarné par Emmanuel Schwartz, ne bénéficie pas de la même profondeur de traitement, mais sa force tranquille est intéressante, en plus d’être un ressort dramatique inattendu à la folie de Kevin.

Cela dit, Nous sommes Gold peine à se définir une ligne claire, à force de s’écarter dans plusieurs sous intrigues, dont certaines ne sont qu’ébauchées, notamment celle de Kevin, véritable plaque tournante du film, ou celle de Marianne et sa soeur, par exemple. De ce fait, le scénario semble manquer de colonne vertébrale et laisse un petit goût d’inachevé. Un sentiment étayé par un rythme qui a du mal à s’établir, alors que le récit est souvent haché par les passages d’une histoire à l’autre. L’utilisation du band rock donne cependant l’occasion à Morin d’illustrer, ne serait-ce que sommairement, les conditions de travail d’artistes indépendants en région. Un éclairage inédit sur un sujet que l’on a l’habitude de voir campé dans des centres urbains déshumanisés ou dans des circonstances très éloignées de celles qui sont dépeintes ici. La trame sonore de Philippe B est un atout important dans la crédibilité et la qualité de l’ensemble, de même que la direction photo de Jean-Sébastien Lord, tout aussi évocatrice dans les scènes d’intérieur que dans les plans larges des vastes contrées abitibiennes.

Nous sommes Gold – Québec, 2019, 1h39 – Dans une petite ville qui va bientôt commémorer les 10 ans d’une tragédie minière, un groupe de rock local se retrouve après que la bassiste ait été faire carrière en Europe – Avec: Monia Chokri, Emmanuel Schwartz, Patrick Hivon – Scénario: et réalisation: Éric Morin – Production: Parce Que Films – Distribution: FunFilm Distribution

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