Retravailler Lipsynch, une pièce de neuf heures écrite par onze coauteurs et en produire une adaptation cinéma d’à peine plus de 90 minutes, voilà l’improbable gageure que nul autre que Robert Lepage, qui signe seul le scénario, pouvait entreprendre. Bien entendu, Triptyque reprend les idées maîtresses traitées dans la pièce tout en modifiant quelques variantes secondaires.
Outre ses thèmes riches et subtils, le film accorde une grande attention à ses personnages et fait d’eux des points d’attache auxquels l’autre doit s’agripper pour continuer. Car la perte progressive de facultés indispensables à l’épanouissement et à la passion, va finir par les relier inéluctablement les uns aux autres. Marie et ses médicaments qui l’empêchent de s’adonner à l’écriture n’a que sa sœur Michelle pour la soutenir. La tumeur de Michelle est opérée par Thomas qui en tombe amoureux en écoutant un de ses récitals. Grâce à cet amour, il tire un trait sur son passé de chirurgien et son alcoolisme et peut enfin refaire sa vie. Lepage connecte ses récits dans une construction non linéaire faite de trois parties d’égale durée, trois courts métrages qui pourraient être vus indépendamment mais qui sont intimement reliés les uns aux autres.
L’évocation des troubles psychologiques de Marie dans le premier chapitre est de loin la portion du film la plus réussie. Illuminées par une Lise Castonguay dont le regard perdu vers l’horizon possède ce qu’il faut de profondeur pour exprimer toute la désespérance de son personnage, ces premières trente minutes expriment parfaitement son enfermement dans une maladie dont les traitements médicamenteux restreignent le peu de lucidité qu’il lui reste en un mutisme quasi autistique. On découvrira dans la troisième partie si Marie aura finalement su se réaliser pleinement. Du cinéma de grande qualité donc que cette première partie tout en finesse.
Hélas, la seconde période déçoit. Elle se résume à une très conventionnelle histoire d’amour entre Michelle et Thomas, dans un Londres filmé de nuit à la lueur des lampadaires et des pavés mouillés. Malgré la chaleur des jaunes et des bruns, cette séquence ne procure pas l’émotion attendue et contient plusieurs longueurs. De ce fait, Triptyque perd de son intérêt. Il le retrouve toutefois en partie dans la dernière section plus technique, qui met en lumière de façon érudite la recherche entreprise par Michelle pour comprendre les origines de sa voix.
D’un point de vue technique, la photographie crée une atmosphère délicate et raffinée, tout en procurant par moment une sensation proche de l’irréel. Visuellement très attrayant, abondant d’images numériques aux enchaînements adroits, la touche de Pedro Pires procure à Triptyque une forte complémentarité entre le sujet et sa représentation. Le résultat donne donc un film d’esthète qui offre sans conteste une expérience cinématographique réussie, à défaut de pouvoir générer empathie et émotion.
Triptyque – Drame – Québec, 2013, 1h35 – Une libraire schizophrène, une chanteuse qui perd la voix et un chirurgien pris de tremblements tentent de renouer avec un avenir qui leur semblait impossible – Avec: Lise Castonguay, Frédérike Bédard, Hans Piesbergen – Scénario: Robert Lepage – Réalisation: Pedro Pires et Robert Lepage – Production: Lynda Beaulieu – Distribution: Les Films Christal
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