Rependre 10 ans plus tard l’un des classiques du cinéma québécois « moderne » est une entreprise risquée. À l’instar de l’échec du récent remake de la comédie Starbuck, les risques de déconvenue sont élevés, tant sur le plan commercial que sur celui de la réception critique. Quel sera l’accueil réservé au film au Québec ? Les comparaisons avec l’original sont inévitables et il y a bien des chances que les amoureux de la comédie de Pouliot soient déçus.
The Grand Seduction est une copie conforme en manque d’inspiration. Certes, la production a su joliment mettre en images son scénario (coécrit par Ken Scott) et faire preuve de maîtrise pour rendre les lumières et les paysages des côtes terreneuviennes. On aime la simplicité des personnages et la richesse des rôles de soutien. La bonhommie et la rudesse des insulaires sont incarnées sans fausse note par une distribution populaire au ROC mais méconnue au Québec. Sobres, voire même un peu mornes, les comédiens évitent la plupart des pièges du cabotinage, en dehors du banquier ballot joué par Mark Critch.
Toutefois, il y a fort à parier que la belle visibilité accordée au logo d’une pétrolière dont on parle beaucoup en ce moment sur l’Île d’Anticosti aura un impact sur la réception du film par le public québécois. On a bien compris que The Grand Seduction n’est pas fait pour le public de notre Province. Au Québec, on a développé depuis quelques années (et quelques déversements catastrophiques) une appréhension grandissante envers les développements pétrochimiques. Or voici que ce qui sauvera Tickle Head n’est autre qu’une usine de transformation des produits du pétrole (le film ne s’étalera pas sur la nature des activités et les résidents ne remettront rien en cause).
Les territoires et provinces anglophones se ficheront comme de l’an quarante que l’on fasse la part belle à une compagnie pétrolière et que le message à deux balles du dernier tiers du film se contente de n’être rien de plus qu’un communiqué de presse (en gros « voyez donc comment les pétrolières parviennent à créer des emplois et ainsi sauver des petits villages au bord de l’agonie »). De mémoire, dans le film de Pouliot, on avait au moins un peu de suspicion envers l’usine de contenants en plastique qui devait s’implanter. Ici, rien de tout ça. Le chèque de BS ou l’usine pétrochimique. Pas de contorsions pour imaginer des alternatives.
Un manque d’imagination qui se conclue dans un happy-end improbable et consensuel montrant le renouveau du trou perdu. Grâce à la gentille compagnie, les habitants peuvent enfin respirer dans un monde merveilleux où l’usine, pimpante et immaculée, leur fournit un emploi… Les parties de jambe en l’air font leur réapparition dans les chaumières et la fierté d’antan est restaurée.
Avec sa réalisation incolore, son interprétation sans grand éclat et son sujet déjà connu, ce qui se veut être un feel-good movie est hélas bien loin de fournir un divertissement recommandable. Car au delà de la pertinence de cette copie/suite/reprise/adaptation (faite votre choix), au-delà d’une maîtrise technique fonctionnelle à défaut d’être convaincante, et plus que son interprétation sincère, ce qui retient l’attention c’est bien cette grande séduction qu’une compagnie pétrolière commanditaire du film tente de nous faire gober. Finalement, ce que The Grand Seduction fait bien, c’est de nous rappeler que depuis ses débuts, le cinéma est aussi un outil de propagande à la solde de causes pas nécessairement propres.
The Grand Seduction (La Grande séduction à l’anglaise ) – comédie – Canada, 2013, 1h53 – À Tickle Head, petit port de pêche de Terre-Neuve, un médecin doit être trouvé rapidement pour qu’une usine pétrochimique accepte de s’implanter. Les habitants vont tout faire pour que le candidat se sente à l’aise. – Avec: Brendan Gleeson, Gordon Pinsent, Taylor Kitsch – Scénario et réalisation: Don McKellar – Production: Max Films, Morag Loves Company – Distribution: Films Séville
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