Mariages de Catherine Martin (2001) est l’un de ces films québécois que l’on se doit de connaître et d’apprécier, tant par sa douce exploration de la sensualité et du désir amoureux que par sa force picaresque hors pair.
Synopsis officiel: Québec, fin du XIXe siècle. Yvonne a vingt ans. Sa vie se partage entre ses rapports intenses avec la nature et l’austérité de l’époque victorienne où sont camouflés les sentiments et les passions. Cet été-là , son univers bascule à cause d’un rêve, de son désir ardent pour un homme et du retour étrange de sa mère. Malgré les épreuves, Yvonne se découvre elle-même et choisit son destin.
Issu du dossier de presse du film, le texte qui suit fournit de précieux détails sur les intentions de l’auteur, ainsi que sur le processus de production du film.
L’EXPLORATION DU DÉSIR : un rêve, un scénario, un film
Le scénario de Mariages est librement inspiré de l’histoire d’une femme qui a vécu dans les années 1920 et 1930. Cette femme fut éloignée par sa propre sÅ“ur, de l’homme qu’elle aimait puis dut s’exiler de son village natal pour se retrouver seule une époque où on ne pardonnait pas à une femme d’être libre. Des années plus tard, à la suite d’événements qui la laissèrent brisée, elle alla vivre dans une institution où elle devait finir ses jours.
Ce qui est à l’origine de l’écriture proprement dite, la cinéaste Catherine Martin l’explique ainsi: « Cette histoire m’a hantée longtemps après qu’on me l’ait racontée. J’étais émue car il s’agissait de quelqu’un de ma famille. Puis, je ne sais pas pourquoi, le désir de corriger son destin tragique s’est manifesté en moi. M’est alors venue l’idée qu’il était possible de le faire par le biais de la fiction. Lui rendre sa dignité de femme et lui insuffler de la force, de la confiance malgré sa mort. »
D’autre part, une image récurrente, comme un rêve éveillé, s’est imposée à elle: l’image d’une femme remontant inlassablement une colline, vêtue d’une longue robe verte. « On aurait dit qu’elle cherchait, par un chemin mystérieux, à se rendre visible, à être racontée. Je l’ai dessinée et plus tard écrite. Je suis aussi très attachée aux paysages de la Côte-du-Sud, au bord du fleuve St-Laurent. J’y suis allée à quelques reprises nourrir mon imagination. »
C’est ainsi qu’il lui a semblé nécessaire de raconter cette histoire à sa manière en la transposant à une autre époque, la fin du XIXe siècle, où la description de la vie quotidienne est en perpétuelle relation avec les cycles de la nature. De plus, Catherine Martin avait envie d’explorer cinématographiquement les dimensions secrètes de la sexualité par le trajet intérieur d’une jeune femme dans sa découverte d’elle-même. « J’ai choisi d’aborder la sexualité comme lieu obscur de l’identité et comme étant le centre universel des choses, le lien complexe qui nous unit au monde, à la nature. Elle est principe même de vie. »
Lorsque la productrice Lorraine Dufour a lu le scénario, elle a eu un véritable coup de coeur. « Il y avait quelque chose d’un peu magique, de fantastique, une sorte de réalisme onirique qui me plaisait. » Malgré le défi de taille que représente la production d’un film d’époque avec peu de moyens, l’originalité du sujet la persuade de se lancer dans l’aventure. « La période post victorienne où se déroule le récit, l’austérité de la petite bourgeoisie rurale – notre petite bourgeoisie – n’ont pas été beaucoup vus à l’écran. On a beaucoup traité de la bourgeoisie mais jamais de la petite bourgeoisie. »
Rapidement, une connivence artistique s’établit entre la productrice et la réalisatrice. Au cours de leurs rencontres, Catherine Martin illustre sa vision du film avec des images: reproductions de tableaux de peintres scandinaves (Hammershoi, Edvard Munch), photos de la nature prises par elle, photos de famille et photos d’archives, etc. Ces images, qu’elle montre aussi à ses autres collaborateurs, décrivent parfois mieux que des mots l’atmosphère qu’elle cherche à créer pour le film.
Tout en ayant fait une recherche approfondie sur cette époque, là cinéaste s’est livrée à sa propre interprétation de la vie à la fin du XIXe siècle. Elle a choisi de transposer d’une manière plus évocatrice que réaliste l’atmosphère sombre et répressive du Québec de cette époque et ainsi travailler l’image en fonction des contrastes entre la luminosité de la nature et l’austérité caractéristique du milieu où évoluent les personnages.
Le récit est centré sur le parcours intérieur d’Yvonne, élevée à la mort de sa mère d’une manière stricte par sa soeur Hélène, et destinée à devenir religieuse. Pourtant Yvonne n’est pas faite pour le couvent. Elle est « faite pour l’amour ». La réalisatrice trace ainsi le portrait de ses personnages: « Yvonne apprendra au cours du récit à être de plus en plus à l’écoute de ses intuitions et de ses sentiments. Elle découvre qu’en son corps surgit le désir et elle ne reculera pas devant lui. Elle y puise de la force pour agir et pour s’ouvrir à l’amour. Quant à Hélène, elle agit par calcul et en fonction de ses intérêts. Mais c’est surtout une femme qui a réprimé au plus profond d’elle-même sa capacité d’amour et d’affection. Peu démonstrative, elle représente bien ce que l’époque victorienne a eu comme impact sur le comportement de plusieurs générations de Québécois. Non seulement la morale et les conventions ont imposé cette attitude mais aussi une certaine idée qu’on ne dit pas ceci ou cela, qu’on retient ses émotions. Ainsi, les relations entre les personnages sont très pudiques, ce qui a exigé des acteurs un jeu sobre et retenu. »
DISTRIBUTION DES RÔLES: la force de l’intuition
Pour le rôle d’Yvonne, la productrice et la réalisatrice cherchaient une jeune actrice vibrante, sensuelle et capable d’intériorité. Sur les conseils de la responsable du casting, Emmanuelle Beaugrand-Champagne, Lorraine Dufour et Catherine Martin ont visionné une vidéocassette d’une audition donnée par Marie-Ève Bertrand lors des auditions générales du Théâtre de Quat’Sous. Elles ont été très impressionnées par la vérité et l’intensité de son jeu. Puis, elles l’ont rencontrée et lui ont remis le scénario. « Quand j’ai revu Marie-Ève, raconte Catherine Martin, elle m’a dit que la nuit après sa lecture du scénario, elle avait beaucoup rêvé et ça m’a plu. J’ai trouvé que c’était bon signe. Ça m’a tout de suite donné confiance et j’ai dès lors été convaincue qu’elle pouvait entrer dans l’univers intérieur d’Yvonne. » Après le tournage, la réalisatrice dira: « Marie-Ève a transcendé le personnage. Elle l’a incarné avec abandon et lui a donné son énergie, sa beauté, sa maturité et son côté volontaire. Je lui en suis très reconnaissante. »
Marie-Ève Bertrand avoue avoir vécu bien plus qu’une simple expérience cinématographique en incarnant Yvonne. « Elle a été pour moi une force lumineuse, un état de dépouillement, de recherche de la simplicité, de sensualité… une grande coupure avec ce qu’on a l’habitude de côtoyer dans le tourbillon de la vie, un rêve suspendu dans le temps dont il nous reste des traces au réveil. » La comédienne s’étonne de la modernité du personnage, qui pourrait être transposé en l’an 2000 avec les mêmes quêtes et les mêmes sentiments.
Pour interpréter le rôle d’Hélène, la productrice et la réalisatrice ont fui les clichés et cherché une femme belle et chaleureuse. Elles ont rencontré quelques comédiennes et Guylaine Tremblay s’est imposée rapidement. « Au moment de la rencontre, elle a eu une compréhension du personnage et une façon de l’aborder qui nous a donné des frissons. Guylaine a humanisé le personnage d’Hélène car elle l’a beaucoup aimée. » Il est vrai que Guylaine Tremblay a été très touchée par la complexité intérieure de cette femme se traduisant par une voix douce qui cache toute la colère et la douleur qui l’habitent depuis la disparition de sa mère.
C’est en écrivant le scénario que la réalisatrice a pensé à Markita Boies pour le rôle de Noémie et à Hélène Loiselle pour Maria. « À sa façon, par son intuition et par une sorte de savoir surnaturel dont elle n’a pas conscience, Noémie change le cours du destin d’Yvonne. Ce sont des choses auxquelles je crois », confie Markita Boies.
Hélène Loiselle se trouvait à une période de sa vie où elle se sentait très proche du personnage de Maria : « Maria, c’est le témoin silencieux. C’est le désir d’aider la vie à venir au monde. C’est peut-être une sorcière « onirique »… »
Quant au rôle de Charles, la productrice et la réalisatrice ont organisé des auditions où elles ont vu une dizaine de jeunes acteurs. La productrice précise: « Il fallait un comédien de vingt-cinq ans environ, qui puisse révéler Yvonne sans la reléguer dans une position de soumission. » C’est aussi en voyant la pièce Trick or Treat qu’elle et Catherine Martin décident de confier le rôle à David Boutin. Dans cette pièce, où il incarne un personnage très différent de celui de Charles faut-il le rappeler, son jeu intense conférait à Charles une présence indéniable.
« Entre les personnages, on sent la famille, comme si une chimie, une parenté physique s’était créés », conclut Lorraine Dufour.
TOURNAGE
La recherche des lieux de tournage fut un processus ardu. Comme la nature joue un rôle essentiel dans le récit, il était important, sans s’éloigner de Montréal, de trouver à la fois une maison d’époque et des paysages à proximité où les signes de la vie moderne pouvaient être évités. L’équipe s’est finalement retrouvée à tourner l’ensemble du film dans les environs de Mascouche, à une trentaine de kilomètres au nord-est de Montréal plus quelques scènes dans les Cantons de l’Est (à Fulford) et à Sainte-Martine de Beauharnois. Le tournage a duré vingt-six jours durant l’été 2000.
Le défi était de taille car le projet était au départ ambitieux et les moyens financiers limités pour un film ayant ce type d’exigences. Ce défi, la productrice Lorraine Dufour a su le relever avec courage. En plus de ses responsabilités de productrice, Lorraine Dufour a effectué le montage du film.
Catherine Martin avait dès l’écriture du scénario rêvé son premier long métrage en privilégiant une mise en scène axée sur les plans séquences. « J’avais envie de composer des tableaux, d’établir une mise en scène sobre, sans effets. En général, les comédiens aiment pouvoir jouer une scène sans interruption malgré les exigences des mouvements de caméra qui déterminent leurs gestes, leurs actions. Pour ma part, j’aime cette tension qui fait en sorte qu’au moment de dire « action », techniciens et comédiens donnent le meilleur d’eux-mêmes. » La réalisatrice souligne de plus le travail exceptionnel de l’équipe technique, que ce soit à la caméra, à la direction artistique, aux costumes, à la coiffure et au maquillage.
MARIAGES: la foi en l’amour
« Dans Mariages, conclut Catherine Martin, j’ai voulu montrer l’indicible: le désir qui naît chez une jeune femme. Le film se veut avant tout une fable aux accents oniriques et métaphoriques. En fait, ce film est une confession de foi en l’amour. J’espère qu’il traduit un peu de cet espoir-là , même si la fin reste ouverte. Chacun des spectateurs peut la ressentir à sa manière et l’interpréter. »