Après une année 2012 décevante (4,8% de parts de marché) et une année 2013 à peine meilleure (5,5%), la cuvée 2014 du cinéma québécois a récolté 6% des recettes en salles et a généré environ 1,3 million d’entrées tous films confondus. Une seconde année de hausse dont on ne réjouira pas trop vite tant ces chiffres sont relativisés par la faiblesse du marché global. Car ce que l’on retiendra avant tout de 2014, c’est la très importante diminution des recettes des salles de cinéma. 10% de perte par rapport à 2013, presque 20% depuis 2010. Un rétrécissement constant qui frappe durement les cinématographies nationales, moins événementielles et faiblement outillées face aux productions hollywoodiennes. Au-delà de ces résultats qui ne veulent finalement pas dire grand-chose, que retenir alors de notre cinéma ?
Avec plus de 70 longs métrages distribués en salles – 29 documentaires et 43 fictions –, la production québécoise a de nouveau été abondante. Si l’on rajoute la dizaine de titres présentés en festivals seulement et qui n’auront peut-être pas les honneurs d’une sortie commerciale, on pourrait même dire pléthorique. Mais cette machine gonflée à bloc doit se résoudre aux contraintes multiples et complexes de la distribution et d’un circuit très restreint. L’an dernier, plus de 50% des longs métrages de fiction étaient sur moins de 5 écrans pour leur fatidique première fin de semaine. Si cet état des choses n’est pas nouveau, il semble prendre une ampleur inquiétante. Une, deux ou trois salles, deux ou trois semaines d’exploitation, quelques centaines d’entrées et le tour est joué. On se rattrapera – ou pas – avec la sortie DVD/VOD. Ce fut le cas en 2014 pour la quasi-totalité de nos documentaires et pour plus de 60% de nos films de fiction (23 sur 43), d’Arwad à 3 Histoires d’Indiens en passant par Que ta joie demeure ou Whitewash pour ne citer qu’eux.
Du côté des productions destinées à un large public, les choses ne se sont pas arrangées non plus. Même si elles furent plus nombreuses qu’en 2013 (8 films sortis sur plus de 50 écrans contre 3 l’année précédente), nombre d’entre elles ont essuyé les plâtres. Miraculum, Le règne de la beauté, Le vrai du faux, Henri Henri, ou Les maîtres du suspense se sont avérés décevants malgré leurs prétentions et leur budget important. Au final, seuls trois films ont réussi à rencontrer leur public et se sont hissés sans coup férir en tête du box-office. La petite reine d’Alexis Durand-Brault (110 000 sportifs conquis), 1987 de Ricardo Trogi (270 000 fans, soit 2,5 fois plus que 1981), et bien entendu Mommy, grand vainqueur avec 360 000 spectateurs. Prix du jury ex-æquo à Cannes, succès public et critique, tant au Québec qu’en Europe francophone ce cinquième long métrage de Dolan en autant d’années aura été le fait marquant de l’an dernier, permettant à son auteur d’accéder à 25 ans au statut de cinéaste à portée internationale.
Composée une nouvelle fois de nombreuses premières réalisations, la cuvée 2014 a été marquée par la transgression des frontières établies entre cinéma documentaire et cinéma de fiction. Plusieurs œuvres se sont amusées à flirter avec le cinéma expérimental et l’essai dramatique, comme ce fut le cas d’Une vie pour deux de Luc Bourdon et Alice Ronfard, de Que ta joie demeure, de Denis Côté ou le Morin pré-cité.
Sous un angle nettement plus fictionnel, en dehors de Mommy nous avons aimé le premier long métrage de Jeff Barnaby Rhymes For Young Ghouls, ainsi que le troisième de Stéphane Lafleur Tu dors Nicole, une exploration tout en douceur de la « paranormalité » de nos vies ordinaires.
Si la production de fiction fut moins relevée qu’en 2013, il n’en va pas de même pour les documentaires qui ont nettement relevé le niveau. Plusieurs œuvres se sont démarquées, telles Le semeur de Julie Perron, Bidonville : architectures de la ville future de Jean-Nicolas Orhon ou De prisons en prisons de Pierre Patry, ainsi que les grands gagnants de la catégorie : Miron : un homme revenu d’en dehors du monde de Simon Beaulieu et La marche à suivre, troisième long métrage de Jean-François Caissy qui confirmait de belle manière les attentes suggérées par La belle visite.
Si plusieurs documentaires ont réussi à se démarquer sur la scène locale et internationale, il ne faudrait pourtant minimiser l’épineuse question de leur diffusion qui ne tient que grâce à un ou deux écrans montréalais et un réseau de salles régionales aux moyens limités. Une situation inquiétante qui s’ajoute à des conditions de production souvent précaires et à une faible visibilité accordée par les médias. Le documentaire parent pauvre de notre industrie ? D’un point de vue artistique, en 2014, il avait pourtant l’air bien en forme !