Élie, une jeune femme sans attaches, débarque sur une île froide et inhospitalière. On ne sait rien d’elle, elle sait ce qu’elle y cherche, mais ne connait rien de son nouvel environnement ni ce qu’elle y trouvera en bout de compte. Elle incarne l’absence de racines et la recherche de sa propre histoire et sa quête visera à percer des secrets bien gardés.
C’est sur un thème maintes fois abordé dans le cinéma québécois récent (on pense immédiatement à Une jeune fille de Catherine Martin ou à Avant que mon cœur bascule de Sébastien Rose pour ne citer que ces deux là ) que Sophie Deraspe élabore Les loups, drame intimiste que l’on pourrait sous-titrer Élie, des blessures et des insulaires. Car c’est bien une plongée dans un univers inconnu que nous effectuons avec cette jeune femme meurtrie dont nous comprenons par bribes le secret.
Comme elle l’avait déjà démontré avec Les signes vitaux, Sophie Deraspe arbore une impressionnante facilité à dépeindre des personnages féminins. À l’instar de Marie-Hélène Bellavance dans le film précité, elle trouve en Évelyne Brochu, impeccable, une jeune femme à la fois fragile et déterminée à affronter ses peurs. Un contact privilégié que l’on retrouve dans l’alternance des distances des prises de vues. Lorsqu’elle est seule avec Élie, la caméra la saisit en plans rapprochés afin de mieux capter ses tourments. Lorsqu’elle filme l’interaction avec les insulaires, l’image se fait plus distante, presque indifférente. Les loups, c’est la restitution du non-dit par une cinéaste et un directeur photo (superbe travail sur les couleurs de Philippe Lavalette) inspirés par la beauté d’un lieu et par le mystère d’une relation.
Incarnant la raison organisée de la ville face à la sauvagerie organique de la région, Élie essaye de comprendre et de s’insinuer dans un monde mâle, chasseur, bourru et fier. Face à elle, le rôle de mère attentive jouée par Louise Portal, elle aussi impeccable, s’avère des plus convaincants. Deux portraits de femmes aux enjeux radicalement différents mais portant en elles le même besoin d’affirmer leur existence dans un milieu qui – à priori – ne leur est pas favorable.
Plusieurs scènes de chasse au phoque, filmées sans artifices, évoquent le rapport à la mort que l’on avait déjà vu dans Les signes vitaux, et renforcent l’âpreté de ces insulaires, dont on s’étonnera cependant de les entendre parler avec l’accent montréalais. Plusieurs autres moments évoquent avec réalisme la vie en communauté dans ce milieu rude, que le tournage hivernal rend encore plus difficile à intégrer.
Toutefois, Deraspe n’évite pas le piège de certains clichés (le personnage alcoolique de Martin Dubreuil n’apporte que peu à l’histoire) et a du mal à faire aboutir son intrigue. Le démarrage est lent, porté par l’incertitude et la méfiance qui règnent. Mais après nous avoir révélé le secret qui unit Élie et William (Benoît Gouin, dont la gueule renfrognée colle à merveille au personnage), le scénario ne sait plus trop que dire de plus sur les liens complexes reliant ses personnages.
Comme si le silence initial ne pouvait perdurer et comme si l’affrontement d’un père coupable et d’une fille revenue le hanter n’avait pas lieu d’être. Deraspe essaye bien de trouver une porte de sortie à sa famille disloquée, mais elle le fait au travers d’un revirement inutilement dramatique et d’une conclusion métaphorique (il y en aura eu bien d’autres avant celui-là ) ouvrant les portes de la rédemption, qui paraît plaquée. Malgré ses qualités esthétiques et la justesse de l’interprétation, Les loups recèle donc une grande part d’inachevé, sans être pour autant à négliger.
Les loups – drame – Québec-France, 2014, 1h47 – une jeune femme sans attaches arrive en plein hiver aux ÃŽles de la Madeleine, à la recherche de ses racines. Elle sera confrontée au milieu inhospitalier et aux insulaires méfiants – Avec: Évelyne Brochu, Louise Portal, Gilbert Sicotte – Scénario et réalisation: Sophie Deraspe – Production: Marc Daigle et Sophie Salbot – Distribution: Films Séville
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