Considéré comme le premier film érotique québécois par plusieurs, Valérie est sans doute l’un des rares monuments que notre cinématographie ait jamais engendré, à tout le moins son premier sursaut majeur. Réalisé par Denis Héroux en 1968 et sorti à Montréal le 2 mai 1969, le film, en fait un bien piètre mélodrame de midinette, eut une résonance allant bien au-delà du simple cadre cinématographique.
Quatrième long métrage du cinéaste, qui avant cela avait réalisé Seul ou avec d’autres (1962), Jusqu’au cou (1964) et Pas de vacances pour les idoles (1965), Valérie a marqué les débuts d’un cinéma québécois commercial pleinement assumé, populiste, tout en restant collé à une réalité sociale, alors marquée par la libération des mœurs de la Révolution tranquille. Il fut le précurseur des comédies de fesses qui suivirent dans les années 70.
En ce sens, l’érotisme soft de Valérie possède une valeur ethnologique importante et fait désormais figure de précurseur. Il en sera de même pour la carrière de son réalisateur, devenu l’un des rares producteurs au Québec à se lancer dans des projets d’envergure aux dimensions internationales importantes (Les Plouffe, Atlantic City ou La guerre du feu pour ne citer qu’eux).
Les cinéastes ici pensent plus au message qu’au médium et leur message se perd. Moi je préfère voir comment le message s’altère et être ainsi sûr que ce qui en reste va passer. Je vais peut-être éviter ce qui angoisse le plus nos cinéastes, la distance entre ce qu’ils pensent et ce que voient les spectateurs. [1]
Mettant en avant la superbe plastique de Danielle Ouimet, alors âgée de 21 ans, Valérie relate l’histoire d’une jeune nonne qui se défroque pour intégrer un gang de motards puis qui échoue dans la prostitution, sous la houlette de Kim Wilcox, comédienne anglaise alors qualifiée de « Deneuve à l’accent sensuel ». [2]
À sa sortie, Valérie a bien entendu donné lieu à un véritable raz-de-marée médiatique, majoritairement réprobateur ou réfractaire face à cette proposition bravant les interdits et faisant une sorte de pied-de-nez au cinéma québécois, jusque là occupé par des œuvres d’auteurs plutôt intellectuelles.
Il y a quelques années, Denys Arcand et moi avions fait une étude sur la sexualité dans le cinéma québécois. Et le seul film où nous en avions trouvé, c’était « Aurore l’enfant martyre ». Et c’était de la sexualité refoulée. Et nous en arrivions à cette conclusion: le cinéma québécois sera vraiment adulte quand on commencera à déshabiller la petite fille du voisin. Alors dans « Valérie », j’ai pris le parti de déshabiller systématiquement ma vedette. Et ce ne sera pas une fille de France ou d’ailleurs: elle sera d’ici. [3]
Au Québec, le film fut un phénoménal succès au box-office, restant de nombreuses semaines à l’affiche et rapportant, selon son distributeur, plus d’un million de dollars de recettes aux guichets.
Présenté au marché à Cannes, le film fut vendu à une quarantaine de pays, où il fut parfois projeté dans des versions raccourcies. Titre de tournage : Nicole – Autres titres : Tendre et sensuelle Valérie, Valérie, tendre sensualité – Roman tiré du film : Valérie de Yves Thériault.
Références
[1] : Magazine Maclean en Janvier 1969
[2] : Emmanuel Cocke dans Le Petit Journal, semaine du 4 mai 1969
[3] : Entrevue de D. Héroux avec Jean Chabot, parue dans Le Devoir, 3 mai 1969
[4] : Entrevue de Jacques Marcotte et Daniel Houde, parue dans La Seigneurie, du 14 au 20 septembre 1969
Entrevue Danielle Ouimet
Avez-vous trouvé le rôle de Valérie plus difficile que vous ne l’aviez cru â première vue, soit en prenant connaissance du scénario où sur le plateau lors des premiers essais ?
Non, pas du tout… Je trouvais que c’était un rôle jeune, frais, ça m’a plu et je l’ai accepté. D’ailleurs, au début, j’ignorais qu’il y avait des scènes de nu, mais je n’ai eu aucune difficulté â les tourner.
Croyez-vous que Valérie soit un film uniquement commercial ou exprime-t-il réellement la façon de penser des jeunes dans notre liberté d’expression d’aujourd’hui ?
Personnellement, je crois que nous sommes entrés dans une période ou l’on insiste beaucoup sur le sexe. Notamment, dans la chanson, Robert Charlebois a apporté quelque chose de neuf en introduisant dans les textes de ses chansons des expressions plus ou moins acceptables. C’est pareil pour le cinéma, nous sommes dans une période ou le sexe est mis en relief, d’ailleurs nous ne sommes pas allés trop loin, ne voulant pas choquer les gens.
Pourquoi avez-vous choisi un peintre pour jouer le rôle de l’amant dans Valérie ?
Nous avons choisi un peintre parce qu’il vit dans un milieu plus évolué que la moyenne des gens. De plus, il fallait choisir les personnages en rapport avec l’histoire. Par exemple, si nous avions pressenti un homme d’affaires pour jouer le rôle de l’amant, l’histoire aurait été complètement différente; cela aurait sûrement gêné son entourage, son milieu de travail, de marier une fille qui se prostituait. [4]
Réception critique
Je n’ai pas tellement le goût de parler de « Valérie ». Je suis même assez triste devant ce que j’ai vu sur l’écran du cinéma Cartier, ce vendredi 18 juillet dans la matinée. Que dire après le visionnement d’un tel film, lorsque l’on sait et que l’on nous a dit que c’est un film canadien, un film québécois, un film sorti de notre milieu et qui va être montré ailleurs, à des étrangers? Que dire lorsque l’on est un peu fier de son pays et de sa langue, qu’on se dit un pays d’avenir, un pays de promesses, et qu’on nous plaque bêtement un produit comme celui-là sous les yeux, un produit soi-disant issu de notre potentialité?
« Valérie » c’est peut-être la pire aventure, avec « Manette » de Camil Adam, pour le cinéma québécois. Il est des chutes dont il est très dur de se relever. Et dire que Jean-Pierre Lefebvre se voit refuser une distribution décente de ses films. C’est le grand problème actuel dans le cinéma québécois, la distribution.
Robert Lévesque, Le Progrès du Golfe, Rimouski, 25 juillet 1969
Valérie nous appartient comme la Plaza Saint Hubert, les mets chinois, le bar-b-cue, le dessus de table en « arborite » fleuri, le mobilier de style colonial espagnol, etc. Valérie c’est le pittoresque de la sensualité dans le milieu québécois. C’est le bibelot de toc que l’on affiche dans son salon parce que ça fait bien. En fait, si Valérie nous renseigne sur la sexualité d’ici, c’est en la désignant comme avouée mais mal assumée, prise en charge au niveau seulement de l’exhibitionnisme.
André Major, Le Devoir, 17 mai 1969, p.21
Valérie a secoué quelques uns de nos tabous les plus enracinés mais son principal mérite fut de pratiquer à l’intérieur des sctrutures sclérosées, voire même colonisées, de nos circuits commerciaux d’exploitation un véritable déblocage. Ce déblocage, à mon sens, constitue le fait marquant du cinéma québécois de 1969.
Luc Perreault, La Presse, 3 janvier 1970, p.23
Résumé
Valérie, jeune orpheline élevée par des religieuses, s'enfuie du couvent avec un ami motard pour aller s'installer à Montréal. Elle y devient danseuse à gogo pour gagner sa vie et bientôt prostituée. En promenade solitaire sur le Mont Royal, elle fait la connaissance de Patrick, un peintre, veuf et père d'un garçonnet, François, qui veut une maman. Les deux jeunes gens tombent en amour.
Parviendra-t-elle à cacher encore longtemps à son amoureux son véritable métier ?
©Charles-Henri Ramond
Distribution
Danielle Ouimet (Valérie), Guy Godin (Patrick Vollant), Andrée Flamand (Andrée), Kim Wilcox (Kim), Claude Préfontaine (le playboy), Henri Norbert (le vieux libidineux), Clémence Desrochers (la travailleuse sociale), Paul Buissonneau, Yvan Ducharme (le gérant du club), Luce Trigane, Pierre Paquette, Gaétan Labrèche, Georges Carrère, Christian Delmas, avec le petit Hugo Gélinas (François Vollant)
Vous avez vu aussi : Gilles Renaud, Marthe Nadeau, John de Martin, Michelle Dion, Jean-Pierre Cartier, René Bail, Tania Mihailoff, Robert Binette, Géraldine Delacroix, Daniel Couvreur, Jean-Pierre et Diane Beauvalet et Michel Paje (non crédité au générique)
Fiche technique
Genre: drame érotique - Origine: Québec, 1968 - Durée: 1h37 - 35mm - 1:1.33 - N&B - Langue V.O.: Français - Visa: 18 ans et plus en 1969, reclassé 13 ans et plus en 1999 - Sortie en salles: 2 mai 1969 sur un écran à Montréal (Parisien) - Tournage: septembre et octobre 1968 à Montréal - Budget approximatif: 100 000 $
Réalisation: Denis Héroux - Scénario: John Dunning, André Link (crédités du pseudonyme Julien Parnelle), Richard Sadler, d'après une idée originale de Denis Héroux - Dialogues: Louis Gauthier - Production: John Dunning, André Link - Assistants à la prod.: Roger Héroux, Ronald Brault, Pierre Lafleur - Société de production: Cinépix - Distribution: Cinépix
Équipe technique - Assistants à la caméra: Yves Sauvageau, Yves Delacroix, André Gagnon - Coordination de la production: Marie Couturier - Direction artistique: Calligan - Maquillage: Michelle Dion - Mixage: Les Studios Sonoréal - Montage images: Jean Lafleur – Musique: Joe Gracy et Michel Paje (crédité Michel Page) (composition), Danielle Ouimet et Michel Paje (interprétation), Jean-Claude Pelletier (direction de l'orchestre) - Photographie: René Verzier - Post-synchronisation: Jean-Pierre Saradin, Michel Paul Beaudry - Régisseurs: Richard Sadler, Dominique Boisvert - Script-girl: Tania Mihailoff
Illustration de l'affiche : Jacques Delisle
Infos DVD/VOD
Valérie a été édité en VHS puis en format DVD au Québec (DVD double contenant les films Valérie et L'initiation). Date de sortie : octobre 1999 - Éditeur : Lions Gate Films - UPC : 807581142095