Comme à l’habitude dans les films de Forcier, c’est par l’adjonction d’un soupçon d’onirisme dans un univers connu que se révèle l’être humain, dans toute la complexité de ses rapports à l’autre, de ses amours et de ses aspirations. Par le passé (L’eau chaude, l’eau frette, 1976 ou Au clair de la lune, 1991), ce mélange détonnant a fait merveille. Plus récemment (Les États-Unis d’Albert, 2005 ou Coteau Rouge, 2011), la délicate interaction entre réel et imaginaire a éprouvé quelques difficultés à se définir, avec comme résultat une mayonnaise plus ou moins réussie.
C’est le sentiment qui se dégage d’Embrasse-moi comme tu m’aimes, qui ne déroge en rien à la règle établie. À défaut de subjuguer, le petit monde de Forcier continue d’émouvoir, ne serait-ce que parce qu’il est unique, et que sa teinture faite d’amertume et de poésie se détache de toute notion de mode ou de temporalité.
Avec son histoire d’amour impossible entre une sÅ“ur passionnée et un frère désireux de partir à la guerre, Embrasse-moi comme tu m’aimes se laisse donc approcher sans problème particulier. On suit avec plaisir les péripéties des familles Sauvageau et St-Germain, empreintes de désirs inassouvis, de craintes face au monde qui les entoure, mais aussi et surtout teintées par des passions interdites et libératrices. Le style Forcier est bien là , son humour décalé, sa façon de jouer avec les transgressions sociales aussi. Le film donne aux amateurs suffisamment de références pour être satisfaits, incluant au passage quelques les clins d’Å“il à son Å“uvre passée (cf. la scène du « callage »).
Cependant, si rien ne dérange vraiment, l’ensemble est sans doute un peu trop touffu, un peu brouillon. Sans doute parce qu’avec ses multiples intrigues, le film manque d’une colonne vertébrale solide. Les thèmes, nombreux, s’imbriquent et se répondent. La Seconde guerre mondiale et ses ravages, l’infirmité, le didactisme du parallèle que les auteurs établissent entre un Québec malmené par la vie et un autre bien plus aisé (les allers-retours de Pierre Sauvageau entre les deux femmes qui symbolisent ces classes sociales) offrent un portrait « all-dressed » de la société québécoise et de ses croyances de l’époque, mais peut-être un peu sage pour sublimer une histoire d’amour fusionnelle que l’on aurait aimée plus rythmée.
Mais surtout, on se questionne sur l’emploi d’innombrables personnages secondaires qui n’ont qu’une fonction limitée, en dehors d’être des caméos d’invités/amis prestigieux (Arcand, Girard, Verville, entre autres, n’apportent rien ou presque à l’intrigue). Mais Embrasse-moi comme tu m’aimes c’est du Forcier. Alors, forcément, on a tendance à se laisser emporter par le charme suranné de ce petit peuple tentant tant bien que mal de s’inventer une existence, un futur, à l’abri de la misère et de la solitude.
Embrasse-moi comme tu m’aimes – Québec, 2016, 1 h 47 – En 1940, un jeune conscrit est pris en tenaille entre deux amours : celui, possessif, de sa soeur infirme, et celui, libérateur, d’une mystérieuse jeune femme issue d’une famille modeste – Avec: Émile Schneider, Juliette Gosselin, Mylène Mackay, Céline Bonnier, Tony Nardi – Scénario: André Forcier, Linda Pinet Réalisation: André Forcier – Production: Linda Pinet, Louis Laverdière – Distribution: Filmoption International
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