Nous nous étions rencontrés il y a trois ans à l’occasion de la présentation de Le militaire, nous retrouvons Noël Mitrani en ce lundi pluvieux autour d’un café pour discuter d’Après coup, son quatrième long métrage, produit en toute indépendance, comme le précédent. Nous lui avons posé quelques questions sur son sujet, ses inspirations et ses personnages. Extraits d’une discussion à bâtons rompus.
La seconde représentation au FNC a lieu le jeudi 12 à 13h
L’un des points les plus intéressants de ton film c’est d’avoir inséré dans le récit une référence à plusieurs recherches novatrices en matière de psychanalyse. D’où t’est venue cette idée?
Il y a une révolution qui est en train de s’opérer dans les études faites sur le cerveau. J’aime beaucoup cette idée que le cerveau humain a prévu la capacité de régler les traumatismes de façon naturelle, par lui-même. Il faut juste que l’on débloque les mécanismes par des procédés tels que l’EMDR et la CIAM (recherches menées par les psychanalystes Shapiro et Botkin, NDLR). Je compare ça à la cicatrisation. Alors ce qui s’applique à la chair, pourquoi ça ne s’appliquerait pas à la psychologie. En cinq séances avec un bon psychologue et en bougeant les yeux, tu vas régler des blessures psychologiques cent fois mieux qu’avec des antidépresseurs! Mais, en abordant la trajectoire d’un être humain qui essaie de se battre grâce à l’empathie d’un médecin, mon film reste une histoire purement fictionnelle.
J’avais plus ou moins entendu parler de ça. Et là j’ai ouvert une porte dans ma vie. C’est-à-dire, il y a un avant et un après. Il n’y en n’a pas beaucoup des moments dans notre existence qui constituent des charnières, une espèce de révolution dans notre tête. Je me suis dit que ce film serait l’occasion de pousser très loin ce sujet-là. Il y a énormément de recherches et de lecture. Un an au total. Je n’ai pas écrit une ligne pendant ce temps. Parce que je ne voulais pas tout mélanger au risque de ne pas réussir à me décoller du sujet. Donc j’ai fait mes recherches et j’ai laissé passer un mois pour laisser entrer en moi tout ce que je savais. Après, je me suis attaqué au scénario et je l’ai écrit en un mois, comme une espèce d’évidence. J’ai retrouvé cette évidence que j’avais eue avec Igor Rizzi.
Tes films précédents étaient plutôt orientés sur des personnages solitaires. C’est la première fois que tu abordes la cellule familiale…
Depuis plusieurs années, on se rend compte que le schéma familial s’est complètement disloqué. C’est très difficile de maintenir une famille, d’élever des enfants. Et ce n’est pourtant pas impossible. On présente aujourd’hui principalement des familles dysfonctionnelles. Il faut arrêter avec ça. Il faut envoyer des messages d’espoir au public. Il faut arrêter avec le cynisme sur le mariage ou les enfants. C’est à nous d’avoir les bonnes valeurs. D’une certaine façon, la famille s’inscrivait déjà en creux de Kate Logan. On sent qu’il aime sa femme, on sent qu’elle l’aime. Mais là, je l’ai vraiment mis au centre. Tout le problème du traitement psychologique découle de la question de la famille. Je crois profondément à ça et c’est pour ça que je l’ai traité avec autant d’aisance. Il aura fallu que j’attende le quatrième pour me sentir capable de faire ce film.
Dans Le militaire, il y a une certaine urgence de faire du cinéma. Alors que là, on est confronté à un sujet plus posé, plus travaillé, plus réfléchi. Est-ce que ça pourrait vouloir dire que tu as changé ton rapport au cinéma?
Je fais un film tous les trois ans. C’est long trois ans dans une existence d’artiste qui réfléchit sur son travail. Moi, c’est parce que je note un changement en moi que je ressens le besoin de faire un film. Si je n’avais pas fait Le miliaire, je n’aurais pas pu faire Après coup. J’avais besoin d’exorciser des démons. Avec Igor Rizzi, j’avais une énorme puissance poétique à l’intérieur de moi. Je venais de France à ce moment-là et j’étais dans la transition de l’immigration. Il y avait un vague à l’âme à l’intérieur de moi. J’ai sorti ça et ça a donné Igor Rizzi. Après, j’ai fait deux films plus sombres pour me débarrasser du côté noir qui est en moi. Avec Le militaire j’ai été très loin avec ça. Après coup fait preuve d’une sérénité, car je l’ai abordé sans cette noirceur, mais avec une immense envie de faire pour la première fois de ma vie un film humaniste. J’ai envie de tendre la main au public et de dire « regardez, j’ai fait un film qui va vous faire du bien. » Parce que j’en suis capable aujourd’hui. Ce film m’a apporté une sérénité que je n’avais pas.
Parle-moi un peu de tes comédiens…
J’ai écrit ce film parce que je savais que c’est Laurent qui allait le faire et j’ai été très loin parce que j’étais convaincu qu’il en serait capable. Il a aussi à sa manière participé à l’écriture en faisant un travail d’intégration du texte en l’adaptant à ses propres mots. C’est la même chose avec Laurence Dauphinais qui est impeccable. Elle tient sa place d’une façon extraordinaire. Je savais aussi que dans la personnalité de Mohsen, il y avait la possibilité d’incarner ce personnage de psy. Il a beaucoup de texte. Ensuite il y a ma fille. C’est elle qui m’a demandé de faire un film ensemble. Ce n’était pas une phrase anodine. Je sais qu’elle a ça en elle. Elle a appris son texte par cœur, mais je ne l’ai jamais fait répéter pour ne rien abimer. C’est comme un coquelicot. Il faut le prendre dans le champ au dernier moment. Et j’ai fait confiance à l’expérience de tournage. Je me suis dit que tout allait se passer avec Laurent, en situation, dans le décor. Je ne lui ai pas mis la pression.
As-tu eu des retours sur ton film?
Le film soulève l’enthousiasme et remporte l’adhésion. Il a été sélectionné en Angleterre dans un festival à Eastbourne, en compétition. Il passera en novembre. Le FNC est un tremplin extraordinaire et je les remercie énormément… Ça me touche beaucoup. Ce qui m’intéresse avant tout c’est que chacun de mes films puissent se répondre les uns les autres. Et j’essaye de faire comprendre que chacun d’eux composent quelque chose qui a une certaine unité. Si ce que je fais puisse aboutir à une petite œuvre. Mais pour celui-là, je vais me battre, parce que je sais qu’il peut trouver son public.