Proposant une démarche tenant plus de l’interprétation personnelle que de la transcription littérale, La petite fille qui aimait trop les allumettes, cinquième long métrage de Simon Lavoie, est une immersion étouffante dans un univers visuel funèbre et violent. Expurgé de la poésie lyrique de Gaétan Soucy, le scénario se concentre sur l’action et recréé à l’écran ce que le texte a de plus graphique. L’aliénation du garçon, le suicide du père, la bête cachée au fin fond d’une cave sombre, la vindicte collective, etc. sont autant d’éléments abordés de manière frontale. En empruntant ce chemin on ne pleut plus direct, le réalisateur du Déserteur s’en sort sans trop de dommages. Il fait le choix de rester au plus proche d’une histoire anxiogène qui a tendance à lorgner du côté du film d’horreur baignant dans une atmosphère de fin du monde supportée par le noir et blanc grumeleux de Nicolas Canniccioni, ses angles de caméra, des intérieurs crasseux, des personnages rustres, entre autres.
On reconnaîtra qu’une telle approche casse-gueule a de quoi rebuter, mais on salue en même temps l’audace de la forme. Le film donnera sans doute du fil à retordre aux amateurs de cinéma d’auteur « traditionnel » ou aux lecteurs du roman tentés par les comparaisons. Ici, la prise de risque est l’essence même du projet. Lavoie ose porter sur son matériau de base une vision personnelle, celle d’un créateur d’images en mouvement qui n’a de cesse que de fouiller le terreau fertile de notre collectivité. La valeur de La petite fille qui aimait trop les allumettes est donc à chercher dans les liens qu’il tisse avec notre passé et dans nos rapports avec la famille et la morale.
Plongé sans ménagement dans ce monde en décomposition, dans lequel l’enfermement et l’ignorance nourrissent constamment la folie et le châtiment des hommes, le spectateur trouvera néanmoins le chemin de la rédemption. Prenant la forme d’un plan-séquence de plusieurs minutes embrassant avec ferveur la sortie des enfers, la finale est lumineuse. Dommage qu’elle veuille à tout prix en découdre avec son mystère. On se serait bien passé de ces retours en arrière explicatifs.
Porté par un trio venimeux comme on a rarement l’occasion d’en voir dans notre cinéma (Antoine L’Écuyer, Marine Johnson et Jean-François Casabonne ont une présence à l’écran inoubliable), La petite fille qui aimait trop les allumettes propose une approche purement cinématographique qui n’est peut-être pas fidèle au roman (pouvait-on l’être vraiment?), mais reste une œuvre audacieuse offrant des métaphores pertinentes avec notre histoire collective.
La petite fille qui aimait trop les allumettes – Québec, 2017, 1h51 – Le film relate les tribulations de « la fille » et « le frère », deux adolescents élevés seuls par leur père dans un manoir décrépi à la campagne – Avec: Marine Johnson, Antoine L’Écuyer, Jean-François Casabonne – Scénario: et Réalisation: Simon Lavoie – Production: GPA Films – Distribution: FunFilm
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