Bingo de Jean-Claude Lord (1974), Corbo de Mathieu Denis (2015), La maison du pêcheur de Alain Chartrand (2013), Octobre de Pierre Falardeau (1994) et Les ordres de Michel Brault (1975). Ces cinq films se déroulent de 1966 à octobre 1970, des périodes qui se suivent et qui montrent bien les développements importants de la crise, tout en illustrant l’évolution de l’engagement et de la radicalisation des felquistes. J’ai ressorti cinq visages de ces films, cinq visages qui m’ont marqués et qui, chacun à leur manière, incarnent une facette de ce qui reste l’événement le plus incroyable de l’histoire de notre province.
Tony Nardi dans Corbo > visage de l’adversité
Corbo de Mathieu Denis se passe au printemps de 1966, au début des actions violentes du FLQ. Tony Nardi est Nicola Corbo, un immigrant italien qui a construit son confort et son univers petit bourgeois sur le dos des travailleurs qu’il a exploités. Aux yeux de son fils Jean, gentil garçon à peine sorti de l’adolescence, Nardi incarne une adversité généralisée à la grandeur de la province qui doit être éradiquée pour que le Québec puisse s’épanouir. Après avoir rejoint les rangs du FLQ, Jean s’engage dans une lutte violente contre les entreprises montréalaises anglophones. Le destin du jeune felquiste trouve un accomplissement tragique alors qu’il pose une bombe contre le mur de l’entreprise Dominion Textile. Corbo est disponible sur iTunes et YouTube.
Vincent-Guillaume Otis dans La Maison du pêcheur > visage de la révolte
La Maison du pêcheur d’Alain Chartrand est campé durant l’été 1969 alors que la cellule Chénier se forme. Bernard Lortie, fils d’un pêcheur gaspésien en difficultés financières, débarque à Percé pour se trouver un travail. Après s’être installé chez sa blonde, serveuse pour l’hôtel local, il intègre ce qui ne s’appelle pas encore la cellule Chénier. Vincent-Guillaume Otis donne vie à Paul Rose, un jeune convaincu de sa cause. Résolu, engagé, téméraire, Rose l’est certainement. Mais ce n’est pas le terroriste infâme que les politiciens d’alors avaient décrit. C’est une personne altruiste qui s’interroge autant sur sa place dans la société que sur l’issue hasardeuse de son geste. La force de ses convictions, que Chartrand montre bien dans les scènes se déroulant à l’intérieur de la ‘maison’, ne l’empêche pas d’avoir des interrogations et des remords. Il s’est engagé dans une cause qui le dépasse et il sait que cela peut mal tourner. Pourtant il continue la lutte. La Maison du pêcheur est disponible sur Illico, iTunes et YouTube.
Jean Duceppe dans Bingo > visage de la résignation
Bien que non directement relié à des événements réels, Bingo de Jean-Claude Lord pourrait très bien se situer durant la campagne électorale provinciale du printemps 1970. Jean Duceppe, est Eugène, le père écrasé par les industriels puissants. Il est licencié, mais ne se défend pas, laissant ses collègues se battre pour lui. Le sens de la dramatisation de Lord en fait quelqu’un de résigné, qui sombre très tôt dans l’alcool et la violence verbale. François, son fils, se rend compte que le licenciement de son père n’est que le reflet des conditions de misère dans lesquelles sa famille et des milliers d’autres sont plongées par les capitalistes anglophones sans coeur, qui ont décidé de remplacer les ouvriers par des machines. Il relèvera l’honneur de la famille en intégrant une cellule terroriste. Bingo est disponible sur iTunes en version restaurée.
Serge Houde dans Octobre > visage de la victime
Octobre de Pierre Falardeau se déroule pendant le très court laps de temps séparant l’enlèvement du ministre Pierre Laporte, le 10 octobre 1970, et son assassinat, une semaine plus tard. Serge Houde est ce ministre kidnappé, qui se retrouve livré à lui-même dans une maison de la rue Armstrong. L’attente est interminable, Falardeau la renforce à grands coups de musique et de suspense. Laporte est dépeint avec beaucoup de pudeur comme quelqu’un de résigné, incrédule face à l’attentisme de ses patrons. En désespoir de cause, il tente de passer par une fenêtre pour s’échapper et se blesse grièvement. Son statut d’unique victime du FLQ jamais montrée par le cinéma de fiction québécois en fait le symbole de tous ceux et celles qui ont souffert des actes terroristes d’alors. C’est aussi le symbole d’un sacrifié sur l’autel des convictions des gouvernements Trudeau et Bourassa. Octobre est disponible sur Illico et iTunes en version restaurée.
Hélène Loiselle dans Les ordres > visage de l’injustice
Les Ordres de Michel Brault se passe durant les premières heures suivant la déclaration des mesures de guerre. Hélène Loiselle est Marie Boudreau, femme de Clermont (Jean Lapointe). Comme son mari elle fait partie des centaines de personnes qui furent appréhendées ce matin du 16 octobre 1970 par des fonctionnaires qui ne faisaient que suivre, sans les comprendre vraiment, ‘les ordres’ de leurs supérieurs. Relâchée après six jours de détention sans qu’aucun acte d’accusation ne soit porté contre elle, Marie est l’éloquent visage de l’incompréhension, de l’indignation, mais aussi d’une injustice flagrante. Pour autant, elle ne cède ni à la violence, ni à la révolte, mais laisse une image mémorable de l’incroyable exception que furent ces événements dans la démocratie canadienne souvent citée en exemple. Les Ordres est disponible sur Illico et iTunes en version restaurée
D’autres films sur Octobre
Trois autres longs métrages québécois on abordé la Crise d’Octobre 1970 : l’essentiel et implacable Les événements d’octobre 1970 de Robin Spry, documentaire que l’on retrouve sur le site de l’ONF, L’Île jaune de Jean Cousineau qui présentait la fuite en avant d’un jeune couple harcelé par la police (indisponible) et Les rois mongols de Luc Picard dans lequel Octobre servait de modèle à des jeunes pour faire valoir leurs droits (disponible sur iTunes et Illico).