Sébastien Pilote avait illustré l’extinction du Saguenay-Lac-Saint-Jean en suivant un concessionnaire automobile à l’approche de la retraite (Le vendeur) puis, quatre ans plus tard, dans la cessation des activités d’un fermier lui aussi déclinant (Le démantèlement). En 2018, il avait repris quelques éléments de sa thématique en évoquant la fuite en avant de la jeune Léo dans La disparition des lucioles. Pour son quatrième long métrage, Pilote revient aux sources de la colonisation de sa région natale avec cette nouvelle adaptation de Maria Chapdelaine.
Disons d’emblée que Pilote signe une version fidèle, authentique et nuancée du roman plus que centenaire de Louis Hémon, et qu’il s’écarte des tournures mélodramatiques données par les deux premières illustrations des Français Julien Duvivier et Marc Allégret. Il se distancie également de la vision pittoresque, voire burlesque, proposée par Gilles Carle. Fini le regard charmeur de Jean Gabin, exit le visage triste de Michèle Morgan, terminée aussi la douce mélancolie au clair de lune de Carole Laure.
Gilbert Sicotte, qui incarnait Da’Bé chez Carle, fait le lien avec le film de Pilote. C’est à peu près le seul élément qui rapproche ces deux moutures fort éloignées, à la fois par leur crescendo dramatique inversé et par leur atmosphère différente. Quarante ans après Carle, le scénariste-réalisateur insuffle à son histoire moins de rebondissements et moins de drame. Ses personnages ont retrouvé l’âge que leur avait donné Hémon ; leur parler et leur attitude ont été simplifiés et, puisqu’il ne s’agit pas d’une coproduction avec la France comme pour le Carle, on a écarté l’accent de Paris de certains protagonistes. Autre différence, mais non des moindres, les termes de « sauvages » et de « sauvagesses » ont été supprimés, tout comme une bonne part des références aux autochtones ou aux superstitions des « habitants ». Des rôles secondaires ont été approfondis (Edwige (Martin Dubreuil), Ephrem (Gilbert Sicotte)), d’autres ont perdu de leur importance (la petite Alma-Rose ou le curé du village voisin, jadis joué par Claude Rich)
Le Maria Chapdelaine de Pilote se concentre sur un regard plus réfléchi, plus contemplatif des émois amoureux de la jeune fille. Cela dit, l’attention est surtout portée sur l’illustration plus large de la vie de l’époque, avec ses difficultés, ses drames, mais aussi ses moments de joie collective. En insistant sur les scènes de bûchage de bois, de veillées festives ou de discussions amicales impromptues, Pilote a donc voulu rendre hommage à tous ces colonisateurs obstinés qui ne se résignèrent pas devant l’ampleur de la tâche qui les attendait. Sa galerie de portraits est sincère, et ses personnages ont tous droit à leur temps fort, le scénario donnant autant de place à Maria (Sara Montpetit) qu’à ses parents (Sébastien Ricard et Hélène Florent, tous deux très justes) ou aux trois prétendants.
La musique joue encore un rôle important, mais cette fois, la partition de Philippe Brault renforce avec plus de subtilité les très rares séquences d’émotion. Soignée, la direction photo de Michel La Veaux offre quelques beaux panoramas du lopin des Chapdelaine, quadrillé par des centaines de troncs d’arbres bûchés sortant de terre comme des croix dans un cimetière. Ces quelques plans évocateurs soulignent bien l’isolement de la famille, conséquence de la volonté de Samuel de s’éloigner toujours plus de toute forme de civilisation.
Toutefois, en dépit du soin évident de sa réalisation, et malgré les moues mutines d’une Maria un peu trop remisée à l’arrière-plan, Maria Chapdelaine ne convainc qu’à moitié. Le premier problème – de loin le plus gênant – est que le film peine à rester captivant pendant ses très longues 150 minutes. L’ennui s’installe vite, à cause peut-être d’un récit qui colle de trop près au roman, qui n’était déjà pas réputé pour ses rebondissements et sa passion torride. À force de trop jouer sur les non-dits ou de mettre sous l’éteignoir toute possibilité de pittoresque, Pilote a créé une Å“uvre belle et sage, que l’on voudrait grandiose, mais qui se révèle plutôt aride. Sur le plan de la fantaisie, Carle avait réussi à mieux doser ses éléments de fantastique et de réalisme, en laissant poindre ça et là des touches oniriques représentatives de l’imagerie que l’on peut se faire de l’époque et de ce lieu à la fois hostile et merveilleux (le gramophone, la boisson de castor, les mouches noires pour guérir la mère, etc.). Mais ici, en l’absence de poésie et d’enjeux dramatiques suffisamment forts, on a du mal à supporter une histoire qui manque de souffle épique. Le filmage en long et en large des moments anodins du quotidien (la cueillette de bleuets, les parties de cartes autour de la table, entre autres) n’aidant pas la cause. Enfin, j’ai trouvé que les jolis cadrages et la reluisante direction artistique donnaient par moments l’impression d’un ensemble de gravures anciennes couchées sur un catalogue de papier glacé dans lequel la vie fait défaut.
En résumé: Pilote signe un Maria Chapdelaine rajeuni – mais non modernisé – beau et théâtral, moins vivant que celui de l’auteur de Les Mâles, mais tout de même bien moins « quétaine » que les deux versions françaises. Malgré sa durée excessive, son scénario ténu et son manque de souffle épique, le quatrième long métrage de Sébastien Pilote rend un vibrant hommage au courage et à la résilience de tous les colonisateurs qui ont façonné le Québec. C’est à mes yeux l’essentiel de la pertinence de son film.
Maria Chapdelaine – Québec, 2020, 2h39 – En 1910 au bord de la rivière Péribonka, Maria vit avec ses parents et ses frères et soeurs sur un petit lopin de terre éloigné de tout. À 16 ans, la jeune femme est arrivée à l’âge où il lui faut choisir parmi les trois prétendants qui gravitent autour d’elle. – Avec: Sara Montpetit, Sébastien Ricard, Hélène Florent, Émile Schneider, Antoine Olivier Pilon, Robert Naylor – Scénario: Sébastien Pilote – Réalisation: Sébastien Pilote – Production: Item 7, Multipix – Distribution: MK2 | Mile End
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