Le cinéaste et musicien irano-canadien Kaveh Nabatian a le sens du rythme et cela se ressent dans Sin La Habana, un premier long métrage réalisé en solo, original sur le fond et maîtrisé sur la forme. Plusieurs points d’intérêt ressortent du scénario qui parvient à se sortir de l’ornière du drame humain présupposé par son thème (l’immigration clandestine) en développant l’histoire d’une triangle amoureux trouble et ambigu unissant trois êtres en transition, insatisfaits face au présent, incertains devant l’avenir. Le ton est placé, au moins au départ, sous l’angle de l’ironie. Leonardo et Sara veulent fuir la misère et le manque d’opportunités professionnelles de leur Cuba natal. Le seul moyen à leur portée est de séduire une touriste occidentale, qui les accueillera ensuite dans son pays. Nasim, une Montréalaise esseulée, passe par là et tombe dans le piège.
Nabatian, comme on le voit trop peu souvent dans notre cinéma, met de l’avant l’union charnelle qui s’opère entre le ténébreux Cubain et la timide canado-iranienne. Le langage du corps, lien essentiel quand on ne parle pas la même langue, devient alors le point central de leur relation. On est à Cuba, il fait chaud, la ville est romantique et il danse bien. Nasim succombe au charme, même si elle n’est pas dupe du jeu dans lequel elle s’est embarquée. Un peu malgré eux, ils se retrouvent portés par l’espoir de jours meilleurs. Du moins, le croient-ils.
L’arrivée de Leonardo à Montréal donne l’occasion à Nabatian d’explorer une structure narrative plus lente, évoluant sur un tout autre rythme. Celui des rigueurs hivernales et des cadences de travail d’une usine de transformation de viande dans laquelle il a trouvé un emploi… payé cinq dollars de l’heure. La bonne idée du cinéaste est d’avoir ajouté quelques vignettes réalistes sans les appuyer outre mesure afin de ne pas noyer son histoire d’amour dans un discours politique, certes pertinent, mais perturbateur. On relève une mise en évidence de la xénophobie à travers le personnage du contremaître, mais c’est surtout sur l’aspect déroutant de l’immigration que l’on s’attarde en partageant la frustration et le mal du pays vécus par Leonardo. Plus sombre, le dénouement est aussi plus conventionnel, mais donne quand même satisfaction puisqu’il laisse une porte ouverte à l’interprétation.
La grande qualité de Sin La Habana tient dans sa capacité de dresser les portraits d’êtres mal dans leur peau, sans s’aventurer dans un drame psychologique imperméable. En restant à la surface, en entrant sur la pointe des pieds dans l’intimité de ce triangle hors normes, et en teintant son récit de fines observations sociales, Nabatian signe un film à la fois touchant et intéressant, captivant, jamais pesant, et bien supporté par des comédiens peu connus, dont la justesse et la retenue sont des plus convaincantes.
Au chapitre de la mise en scène, le réalisateur a beaucoup misé – à juste titre – sur l’opposition des ambiances. D’un côté, les couleurs chaudes et la torpeur cubaine et de l’autre, les images désaturées de la métropole québécoise empêtrée dans un hiver implacable. Sur un plan plus pittoresque, la première partie regorge de belles captations de la vie à La Havane, décidément toujours très photogénique. En revanche, quelques effets de style et des angles de caméra bizarres déçoivent et s’avèrent finalement assez peu nécessaires. Malgré cela, Sin La Habana s’affirme comme un essai prometteur qui mérite vraiment le détour.
Sin la Habana – Québec, 2020, 1h34 – À Cuba, un danseur sans contrat et sa copine avocate veulent à tout prix partir à l’étranger. Il parvient à séduire une montréalaise esseulée. Se laissant prendre au piège, elle accepte de le faire venir chez elle – Avec: Yonah Acosta Gonzalez, Evelyn Castroda O’Farrill, Aki Yaghoubi – Scénario: Kaveh Nabatian, Pablo D. Herrera Veitia – Réalisation: Kaveh Nabatian – Production: Voyelles Films – Distribution: Maison 4:3
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