Films du Québec

Les parents déshumanisés (Rebelle de Kim Nguyen)

Pour son quatrième long métrage, Kim Nguyen renoue avec le continent africain et nous propose une troublante histoire de fillette soldate, dans laquelle, outre la justesse de l’interprétation, la qualité technique et scénaristique sont au rendez-vous. Sans aucun doute le film le plus accompli de son auteur, qui confirme avec brio son parcours unique dans la cinématographie québécoise.

En gestation depuis de très nombreuses années, Rebelle relate l’histoire de Komona, une adolescente africaine racontant au bébé qui est dans son ventre comment elle a été enrôlée de force dans l’armée Rebelle de son pays. On suit alors son parcours de sorcière de guerre, protégée par le chef et crainte par les soldats. Parvenant à fuir avec son ami le Magicien, Komona vivra des instants de répit et de bonheur, loin de la guerre, jusqu’à ce qu’elle soit retrouvée par les soldats rebels.

L’horreur d’un pays dévasté y est présente de la première à la dernière seconde et la force de Nguyen est d’avoir réussi à insuffler à son sujet une touche de poésie et de légèreté, si tant est qu’on puisse employer ces mots pour décrire une telle tragédie pour tout un peuple. Bien que l’histoire soit d’une cruauté parfois extrême, le scénario, tout en retenue et en pudeur, ne verse jamais dans la dramatisation à outrance de son sujet et ne fait pas de ses personnages des martyrs de la liberté. Nguyen y verse même une part de naïveté en insérant en seconde partie du film une touchante mais improbable histoire d’amour. Un amour ordinaire comme peuvent en vivre des couples ordinaires, loin des larmes de la guerre qui nous rappelle qu’au-delà de cette horreur, l’espoir subsiste malgré tout.

Outre sa retenue et son indéniable lueur d’espoir, le film tire le meilleur de comédiens, quasiment tous non professionnels, parfaitement dirigés. Nguyen explique qu’il a délibérément décidé de ne pas leur faire lire le scénario avant de tourner, mais de leur expliquer les scènes, juste avant la prise de vues. L’adroite direction d’acteurs, alliée à la justesse et la subtilité des comédiens apportent à ce drame une rare force émotive.

Nguyen a tourné ce film au Congo, mais il représente ici n’importe quel des pays d’Afrique centrale, en pleine guerre civile. À ce titre, Rebelle porte en lui cette qualité d’universalité qui fait de lui un film indispensable. Les plus difficiles reprocheront à Rebelle de ne rien illustrer qui ne soit déjà connu. Ce faisant, ils auraient raison car de nombreux documentaires – dont plusieurs sont québécois et canadiens – ont été tournés sur ce sujet. Mais ils auraient également tort de comparer ce drame poignant et poétique à une énième démonstration de toute l’horreur des enfants soldats.

En résumé

Primé à Berlin en février dernier, dès sa première apparition dans un festival, il y a fort à parier que le regard mi poétique mi tragique que le jeune cinéaste québécois porte envers ce pays dévasté n’ait pas fini d’être encensé de par le monde. L’histoire de Komona restera longtemps dans nos mémoires, comme une tragédie lointaine et inhumaine, qui prend ici le visage d’une enfant presque trop réelle.