Point tournant de la vie d’une jeune fille vivant de petits larcins auprès d’un chum insouciant et d’un homme brutal, criblé de dettes, Avant que mon cœur bascule n’établit pas de constat sur la marginalité, ne pose pas de jugement sur l’adolescence et n’essaye pas de moraliser une histoire par ailleurs très chargée. Il nous met face à une situation troublante où la rencontre entre la marginalité et la détresse laissent entrevoir un futur qui permettrait d’enfin rentrer en paix avec soi-même.
Nous n’aurons pas de précisions sur les origines de la jeune Sarah (Clémence Dufresne-Deslières), ni sur ses relations avec ses deux compagnons d’infortune que sont Louis (Étienne Laforge), son improbable amoureux qui vit chez le brutal Ji-Guy (Sébastien Ricard). Une absence totale de mise en contexte qui déroutera mais qui nous fait entrer dans le film de plein pied, sans préambule ni précautions d’usage et qui nous met d’emblée sur un pied d’égalité avec les protagonistes et leur histoire.
Ayant décidé d’affronter la réalité, Sarah ne fuit pas les conséquences de son acte. Au contraire, elle fait face avec aplomb aux conséquences que son geste pourrait entraîner. Ce faisant, elle rompt radicalement avec l’univers qui est le sien et entrevoit cette relation avec Françoise comme une possibilité de se sauver. Dans Avant que mon cœur bascule, ce sont les gens qui finissent par sauver les situations à priori inextricables. Pas le destin, pas le hasard. Le besoin chez la jeune fille de se trouver une famille en la personne du couple Françoise et Marc est un besoin viscéral. La prise de conscience de la jeune femme est brutale. Mais c’est aussi et surtout une bouée de sauvetage que cherche à accrocher Sarah. Le seul moyen de se sauver de sa vie actuelle et de sortir des ornières dans lesquelles elle évolue dangereusement.
Rose n’y a pas été de main morte pour illustrer les visages tordus de la société québécoise. Le modèle du couple Françoise-Marc est loin d’être idyllique, la relation de type inconnu qui lie Ji-Guy à Louis surprend. Les personnages sont assez peu attachants et leurs contours s’éloignent des stéréotypes. Même celui de la veuve (Sophie Lorain) nous paraît assez éloigné des standards de la femme endeuillée. Seul Marc, le conducteur mort (Alexis Martin), ressemble à l’image que l’on se fait de la figure paternelle attentive et aimante. Mais encore faut-il relativiser puisque cette figure paternelle « normale » n’est que le fruit de l’imagination de celle qui est à l’origine de sa mort et qui n’a jamais eu de père. Il s’agit donc d’un père idéalisé, presque irréel.
À ce portrait brutal de la société québécoise, Rose ajoute une vision presque surréelle de la marginalité. Un peu à la manière de Jo pour Jonathan de Maxime Giroux, un autre passage à l’âge adulte d’une jeunesse sans repères, Avant que mon cœur bascule innove dans sa façon de ne pas montrer la ville comme source de tous les maux. Ici, l’image de la marge est celle d’autoroutes bondées de véhicules défilant à toute vitesse ou d’une pitoyable maison mobile située dans un fourré en bordure de l’une de ces autoroutes. En outre, tout nous éloigne de l’image cinématographique traditionnelle, plus stable et placée minutieusement, sans désordre. Ici, la caméra de Nicolas Bolduc tremble, bouge, donne le tournis, comme pour mieux nous rapprocher de ce que les personnages ressentent.
Dans ce qui apparaît être le film le plus personnel de Sébastien Rose, la réalisation semble avoir été placée sous le signe de l’urgence. L’urgence de montrer le besoin vital d’une jeune fille à se trouver des repères, lors d’un passage de l’enfance troublée à la vie adulte que l’on entrevoit plus sereine. Avec Avant que mon cœur bascule, Sébastien Rose signe un film déroutant, dur et nerveux qui dégage une force brute face à laquelle on ne reste pas tout à fait indifférent.
Avant que mon coeur bascule – Québec, 2012, 1h35 – Une jeune délinquante sans attaches se lie d’amitié avec la veuve d’un homme dont elle a causé la mort – Avec: Clémence Dufresne-Deslières, Sophie Lorain, Alexis Martin, Étienne Laforge, Sébastien Ricard – Scénario : Sébastien Rose, Stéfanie Lasnier – Réalisation: Sébastien Rose – Production: Paul Barbeau (Reprise Films) – Distribution: Métropole
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