[Critique] Ababouiné d’André Forcier

Un sujet parfait pour son auteur et ses acolytes, qui parviennent somme toute à trouver le juste équilibre entre absurdité, désinvolture et gravité.

Ababouiné d’André Forcier a été scénarisé avec l’aide de ses deux fils trentenaires et des connaissances de ceux-ci. L’aguerri Luc Dionne a même servi de conseiller à l’écriture. Ceci explique peut-être pourquoi ce seizième long métrage en solo du réalisateur de Le retour de l’Immaculée Conception regorge d’idées porteuses, foisonne de références et plie sous le poids, très lourd, de l’un des thèmes qu’il aborde.

Éric Bruneau dans Ababouiné d'André Forcier - Production: Les Films du paria, Max Films - Distribution: Filmoption International - Sortie en salle: 23 août 2024.
Éric Bruneau dans Ababouiné d’André Forcier – Production: Les Films du paria, Max Films – Distribution: Filmoption International

À première vue, on pourra y voir un pamphlet assassin contre la mainmise du clergé sur le Québec pré-Révolution tranquille, déjà évoqué dans Je me souviens. On pourra aussi y trouver un clin d’oeil aux habitants des quartiers populaires dans lesquels il a souvent placé ses caméras. L’eau chaude, l’eau frette étant l’exemple parfait de l’empathie et de l’attachement dont fait preuve le cinéaste envers ce petit peuple de canadiens-français pieux, travaillant et tricoté serré.

On peut enfin y voir un vibrant hommage rendu à tous les intellectuels, penseurs, poètes et autres libérateurs de la condition québécoise qui ont, par les mots et l’engagement, fait germer dans l’esprit de leurs concitoyens une inébranlable volonté d’émancipation.

Tout cela pour dire qu’Ababouiné est le plus élaboré des derniers films de Forcier. Et le plus intéressant. Il semble en effet que la donne ait changée depuis que ses fils participent à l’écriture. Les thèmes ont subi une petite cure de jouvence (Les fleurs oubliées traitait d’environnement), le rythme s’est accéléré et les crocs se sont aiguisés.

L’histoire d’Ababouiné a beau être campée dans les années 1950, elle entretient des liens tangibles avec un fait de société qui n’en finit plus de finir et qui ne cesse de faire les manchettes – à l’instar des problèmes de langue d’affichage des commerces, des injustices vécues par les autochtone et de l’omniprésence des cônes oranges au coeur de nos villes. Les abus sexuels commis par les prêtres sont évidemment montrés du doigt, et de manière tout aussi évidemment flagrante. Éric Bruneau en curé libidineux compose un personnage mémorable, sans aucun doute son meilleur en carrière.

Outre ce sujet déjà abordé ailleurs, ce que j’ai retenu du film c’est l’appel du pied à la désobéissance civile que les auteurs lancent joyeusement à la cantonade, comme pour mieux réveiller notre plusse beau Québec de 2024 qui commence nettement à souffrir des inégalités sociales et qui semble se laisser bercer d’illusions économiques miraculeuses. D’où l’impression d’avoir vu un film tout à fait contemporain, s’appuyant sur une Histoire en apparence révolue pour mieux parler du temps présent.

Il y a ici un propos ouvertement anarchique, supporté sur le fond comme sur la forme par le traditionnel embrouillamini de dialogues mordants, d’instants de pur poésie, de protagonistes cocasses et de situations scabreuses, caractéristiques du cinéma de Forcier et de son « réalisme-magique » désormais légendaire. Certes, tout n’est pas du même niveau, à l’instar du coeur du Frère André transformé en viande hachée, développement poussif et inabouti, ou au jeune homme dont les attributs félins ne servent à rien, si ce n’est qu’à faire un clin d’oeil au Matou de Jean Beaudin.

Malgré ses imprécisions, Ababouiné est une très belle illustration de l’univers forcien. Rarement il aura été aussi bien incarné et mis en mots que dans cette jouissive et attachante illustration d’un quartier populaire tentant de se défaire de l’écrasant clergé. Un sujet parfait pour son auteur et ses acolytes, qui parviennent somme toute à trouver le juste équilibre entre absurdité, désinvolture et gravité. À mes yeux, le long métrage de Forcier le plus inventif et le plus drôle depuis Au clair de la lune. (Vu au festival Fantasia)

Ababouiné – Québec, 2024, 1h34 – Dans un quartier populaire de Montréal au milieu des années 1950, un groupe de résidents se liguent contre les curés de la paroisse – Avec: Rémi Brideau, Gaston Lepage, Mylène Mackay, Lilou Roy-Lanouette, Éric Bruneau, Rémy Girard, Martin Dubreuil, Maïla Valentir – Réalisation: André Forcier – Scénario: André Forcier, François P. Forcier, Renaud Pinet-Forcier, Laurie Perron, Jean Boileau – Production: Les Films du Paria – Distribution: Filmoption International

Ma note: 

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★★ Moyen
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