Philippe Grégoire surprend agréablement avec Le bruit des moteurs, un premier film prometteur qui mélange malicieusement les genres. D’un côté un réalisme brut basé sur des tranches de vie puisées dans le passé du jeune étudiant en cinéma qu’il était, gagnant sa croute comme agent des Douanes, et de l’autre, des éléments subversifs, irréels et corrosifs desquels se dégagent une bonne dose d’humour noir et de fantaisie. Filmé en plan large de la manière la plus simple possible, le décor est concret et crédible, l’univers d’Alexandre peut sembler familier. C’est pourtant dans un chaos sans fond qu’il se débat pour tenter de trouver sa voie.
Au milieu du désordre, un vent de folie blond aux yeux bleus fait son apparition en la personne d’une Islandaise amatrice de gros chars, de langue française et d’André Forcier. Rêve ou réalité? Grégoire laisse le spectateur choisir entre le fantasme et la vraie pilote de course. Cette intervention de l’absurde dans un quotidien similaire à bien des chroniques d’apprentissage récentes permet à Le bruit des moteurs de se distinguer.
Car le film est avant tout une tragi-comédie burlesque qui fait voler en éclats tous les repères. Ludique, le scénario enchaîne les péripéties et les comportements étranges qui nous rapprochent plus de l’ailleurs que de l’ici. Battu par des policiers dont les méthodes ressemblent plus à la Gestapo qu’à celles de la Sûreté du Québec, harcelé par une patronne libidineuse héritée des nanars de sexploitation des années 1970, Alexandre voit sa liberté bafouée, sa sexualité montrée du doigt. Il est devenu indésirable dans son propre coin de pays, comme un étranger que l’on rejette en raison des risques engendrés par sa différence dans une société qui légifère ce qui est acceptable ou non.
Un peu désordonné, le récit se cherche par moments. Mais, au bout du compte, Grégoire finit par livrer une réflexion douce-amère sur la notion d’appartenance au territoire, à la communauté. Alexandre aime sa région sans vraiment lui trouver de qualité. Celle-ci ne semble pas lui correspondre pleinement, mais il s’en accommode. Est-il réellement chez lui ici? Rien n’est moins sûr. Ce qui l’est moins par contre c’est que ses déboires arrivent à nous interroger sur ce qui constitue notre identité. En sympathisant avec la jeune femme venue à sa rencontre, il met la main sur la clé des champs, comme le laissent croire les derniers plans filmés de l’autre côté de l’Atlantique.
On aurait apprécié que la dimension irréelle prenne un peu plus de place et que la relation entre les deux protagonistes (ou entre le protagoniste et sa vision fantasmée de l’altérité) soit un peu plus approfondie. Quoi qu’il en soit, Philippe Grégoire a signé une Å“uvre étonnante, drôle et non conformiste qui nous rappelle avec bonheur l’audace des films de Lafleur, de Côté ou, plus récemment, de l’inclassable All You Can Eat Bouddha de Ian Lagarde. À l’instar de ce dernier, on a hâte de voir les prochaines livraisons de ce nouveau venu au talent indéniable.
Le bruit des moteurs – Québec, 2021, 1h17 – Dans un village proche de Montréal, deux policiers patibulaires accusent un instructeur des Douanes canadiennes d’avoir placardé des caricatures à caractère pornographique – Avec: Robert Naylor, Tanja Björk – Scénario: Philippe Grégoire – Réalisation: Philippe Grégoire – Production: Andrew Przybytkowski, Philippe Grégoire – Distribution: FunFilm Distribution
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