Trois garçons dans le vent…
Construit tout en pudeur et en retenue, Camion dresse un portrait touchant et sincère de trois hommes meurtris par les aléas de la vie. Sobre et épuré, le quatrième film de son auteur s’insère dans nos mémoires lentement et sans à -coups. Passé le choc émotionnel initial, Ouellet s’attarde à reconstruire la toile affective qui relie un père et ses deux fils.
Camion trace patiemment le portrait de trois êtres reclus, dont les liens familiaux se sont détendus avec le temps. Il nous présente des personnages vivant peu ou prou en marge de la société et qui n’ont que peu d’interaction avec les autres. Supportant leur enfermement psychologique ou physique de manière différente, les personnages sont finalement assez proches les uns des autres. Ils ressentent tous les trois de la difficulté à vivre en présence de leurs congénères et ont depuis longtemps considéré la réclusion comme seule façon de vivre possible. À ce chapitre, les quelques plans de Samuel à son travail (superbes scènes de nuit) suffisent amplement à nous donner une idée juste de ce constat. Ouellet, comme une bonne partie du cinéma d’auteur québécois, fait preuve d’une acuité visuelle intéressante et nous renvoie ainsi un portrait très juste de nous-mêmes et de notre société, qui envoie un message de rupture par texto et qui donne ses consignes par boîte vocale interposée. Le renfermement sur soi et l’incommunicabilité sont des thèmes récurrents dans le cinéma, ils trouvent ici une très belle exposition.
Camion c’est donc l’histoire d’une lente reconstruction sur terreau peu fertile. C’est une famille qui a subi l’usure du temps qui a passé sans qu’on s’en rende trop compte et qui a perdu certains repères. Pour se retrouver les trois gars le partage de souvenirs de jeunesse et par l’échange de confidences sur la tournure de leur vie respective que les trois hommes vont peu à peu réapprendre à tisser les liens familiaux perdus. Petit à petit, les souvenirs du passé vont ressouder des liens et faire resurgir en eux l’impérieux besoin de se raccrocher aux autres, et d’enfin les accepter.
En guise de conclusion à cette très belle Å“uvre, Ouellet nous laisse imaginer un avenir un peu moins sombre pour ses personnages, qui semblent enfin prêts à accepter la vie telle qu’elle se présente. Lors de la scène finale, remplie d’une universalité toute simple, les deux frères se rejoignent comme jamais auparavant, contemplant tous deux la neige qui tombe également à Montréal et dans le Bas du Fleuve. «Dans un certain cinéma d’auteur, il faut que ce soit noir. Dans mon film, on commence avec la mort, on l’apprivoise, pour aller ensuite vers la lumière.» expliquait Ouellet dans une récente entrevue au journal Le Devoir. Ainsi simplifié, le film n’en est que plus lumineux encore.
En résumé
Direction d’acteurs parfaitement maîtrisée et interprétation très crédible et très proche sont deux des forces qui donnent à Camion un réalisme prenant. Signalons enfin, et c’est une constante chez Ouellet, la place de choix réservée à la trame sonore, parfaitement insérée dans la construction narrative et très justement utilisée comme moteur de l’action. Sans aucun doute l’une des Å“uvres québécoises les plus attirantes de l’année.
Camion – Québec, 2012, 1h34 – Suite à un grave accident de la route, un camionneur proche de la retraite sombre dans la déprime. Ses deux fils le rejoignent et tentent de lui remonter le moral – Avec: Julien Poulin, Stéphane Breton, Patrice Dubois, Noémie Godin-Vigneau – Scénario, Réalisation: Rafaël Ouellet – Production: Stéphanie Morissette – Distribution: K-Films Amérique
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