Pour son premier long métrage, Miryam Charles s’est inspirée d’une tragédie ayant l’ayant touchée personnellement il y a quinze ans. Cette maison aurait pu revenir sur les faits par le biais d’un récit vériste et sombre. Toutefois, afin de se distinguer du drame d’auteur traditionnel, mais trop souvent routinier, et pour compenser un budget placé sous un régime minceur des plus stricts, la réalisatrice a laissé une grande autonomie à l’imaginaire du spectateur.
Le défi tient dans la capacité d’évoquer Tessa, la défunte en faisant comme si elle n’avait jamais existé, dans une histoire inventée, « quoique proche de la vérité » comme l’indique l’actrice Schelby Jean-Baptiste (Il n’y a pas de faux métier) en guise d’ouverture. Plusieurs moments du passé, du présent et même du futur de Tessa sont reconstruits dans des saynètes au style épuré, dont certaines héritent de la patte inimitable d’Olivier Godin (Charles a été jadis sa directrice photo). En parallèle, la cinéaste livre ses souvenirs en voix hors champ.
Le résultat est un amalgame iconoclaste de portions documentaires, de séquences expérimentales et de parties fictionnelles, délaissant les codes de l’enquête policière ou de la reconstitution factuelle. Sur l’événement, nous n’avons qu’un contexte imprécis. Le lieu du drame est montré de loin, dans une automobile aux vitres balayées par la pluie. De la défunte, nous ne saurons pas grand-chose non plus, si ce n’est qu’elle était une adolescente studieuse et qu’elle semblait croquer dans la vie à pleines dents.
Si le manque de moyens est palpable à plusieurs reprises, le parti-pris de la réalisatrice offre une approche judicieuse pour évoquer l’absence de l’être aimé. Car cela permet au film de s’abandonner à flâner sur des sentiers plus universels. Ainsi, outre l’hommage à la disparue et à la force intérieure de sa mère, seule face à la douleur, Cette maison présente une ode à la résilience des expatriés, leur appartenance, leur déracinement affectif et culturel ou leur solidarité. Le racisme ordinaire ou la banalisation du féminicide sont aussi brièvement abordés.
Ce voyage introspectif au pays de l’innocence pourra cependant paraître un peu flou, en raison de ses temporalités et espaces différents (États-Unis, Québec, Haïti), pas toujours faciles à cerner. Malgré tout, de ces sphères à la fois dissonantes et complémentaires, naît une œuvre marquée du sceau de la délicatesse, qui finit par toucher droit au cœur. En plus de confirmer tout le bien que l’on pensait de sa réalisatrice.
Cette maison – Québec, 2022, 1h15 – la cinéaste imagine la vie passée, présente et future de sa cousine, disparue en 2008 dans des conditions tragiques – Avec: Florence Blain Mbaye, Schelby Jean-Baptiste, Eve Duranceau – Scénario: et Réalisation: Miryam Charles – Production: Félix Dufour-Laperrière – Distribution: La Distributrice de films
Ma note: