À l’âge de huit ans, après avoir vu Titanic, Xavier Dolan avait écrit une lettre d’admiration à Leonardo DiCaprio. Un fait vécu qui trouve son aboutissement fictionnel dans ce John F. Donovan tant attendu, honni aux États-Unis, sorti sans chichi en France et qui nous parvient finalement, pratiquement quatre ans après que la production a débuté. Il est presque impossible d’analyser ce que l’on a sur l’écran sans tenir compte de la gestation douloureuse de l’œuvre, marquée par un tournage étiré, un coût énorme (et, au final, totalement injustifié), et des coupes à blanc effectuées lors d’un processus de montage de près de deux ans. Chose certaine, cette version commerciale réduite à 123 minutes ne correspond pas au film que Dolan voulait faire à l’origine. En ce sens, ce que l’on retient du visionnement n’est pas tant ce qui est dans l’image, mais plutôt tout ce qui n’y est pas. Cela dit, il n’est pas certain que le premier découpage, d’une durée de plus de quatre heures, aurait été meilleur. Bien au contraire. Car même si. vu les circonstances. on peut considérer que les monteurs ont fait ce qu’ils pouvaient pour sortir une histoire relativement cohérente de tout ce magma, John F. Donovan souffre de problèmes majeurs, dans à peu près tous les domaines. On imagine que certains sont imputables au charcutage, mais d’autres y sont totalement étrangers.
Centrée sur ses quatre personnages principaux, l’histoire – construite sous la forme d’un retour en arrière assez classique – a été restreinte à ses principaux rebondissements, donnant à penser que des événements parallèles, des rôles secondaires et des sous-intrigues manquent à l’appel. Car. en l’état, le récit s’avère truffé de questions sans réponse. Les plus importantes tournent autour du réel sujet du film, qui, en dehors de n’être qu’une énième plongée dans la psyché du cinéaste, ne fournit aucune substance quant à la relation de Rupert et du comédien. On cherche en vain ce qui a poussé l’acteur à écrire autant de lettres à un parfait inconnu, tout comme on essaye de comprendre ce que cette correspondance a eu comme effet sur le jeune garçon. La justification est peut-être dans les chutes de pellicule.
En outre, les détails apportés sur le « background » des protagonistes sont pour une grande part à porter aux abonnés absents. Là encore, on imagine que des séquences explicatives destinées à peaufiner leur désarroi ou leurs contours psychologiques ont été écartées. Auraient-elles permis d’apporter un peu de corps aux lourds traumas qui gangrènent les relations familiales et à ce qui leur a donné naissance? Impossible à dire, mais toujours est-il que l’évocation n’est jamais convaincante puisqu’elle se limite à quelques bribes, insérées ça et là sans réelle crescendo dramatique. Ce phénomène est particulièrement criant dans les portraits de mères jouées par Natalie Portman et Susan Sarandon. On s’étonne que, bien que sensible et aimante, la première soit si étrangère aux turpitudes de son rejeton, alors que l’alcoolisme de la seconde, les tensions avec son fils ne trouvent jamais de solution. En ressort un manque d’émotion flagrant, à peine rehaussé par quelques moments forts, et des coups de gueule très dolaniens, un peu comme dans Juste la fin du monde, dont John F. Donovan s’inspire beaucoup. Ces scènes-chocs manquent malheureusement de justesse, en plus d’être déconnectées du reste.
Au rang des insatisfactions qui n’ont rien à voir avec le rétrécissement du film, on ajoutera pêle-mêle : un Jacob Tremblay insupportable qui semble avoir été totalement livré à lui-même; une musique originale sirupeuse; des séquences démonstratives ratées (celle des retrouvailles de Rupert et de sa mère, dans une rue sombre sous la pluie battante est un sommet dans le genre), ainsi qu’une narration qui a la lourde responsabilité de combler les trous dans l’histoire, mais qui finit par être agaçante. Sans même parler des références « vintage » perturbantes (l’autobus scolaire années 80, ou, plus absurde encore, le magnétophone à cassettes… en 2017!) et un passage plus que ridicule concernant les problèmes du « premier monde ».
La patte de Dolan se fait sentir également dans plusieurs tics scénaristiques habituels, comme les tirades acerbes placées dans la bouche d’un enfant décidément trop doué pour son âge. On la retrouve aussi dans la facture visuelle, maniérée au possible, presque archétypale de l’élégance des productions hollywoodiennes d’antan. Notons cependant les ambiances évocatrices, particulièrement les extérieurs, magnifiées par la direction photo irréprochable d’André Turpin. Cela dit, un peu plus de sobriété n’aurait pas nui. Pimenté par quelques effets de style que le réalisateur nous ressert sans originalité, cet ensemble très lisse a du mal à s’accorder avec la délicatesse des drames humains qui se jouent sous nos yeux.
Au final, John F. Donovan n’est autre qu’un exercice d’autofiction raté, trop prétentieux à notre goût. Considérant que nous n’avons pas vu le film comme il avait été imaginé par son auteur, une question demeure: quelle aurait été notre appréciation du premier montage? La réponse ne viendra sans doute jamais, laissant le souvenir de cette version édulcorée marquer au fer rouge un film mort-né, qui constitue peut-être une fin de cycle, un tournant dans la carrière exemplaire d’un artiste à nul autre pareil.
The Death And Life Of John F. Donovan – Québec, 2018, 2h03 – Dix ans après la mort de son idole, un cébre comédien de télévision, un acteur se souvient de la correspondance qu’il a entretenue avec lui – Avec: Kit Harington, Natalie Portman, Jacob Tremblay, Susan Sarandon – Réalisation: Xavier Dolan – Production: Xavier Dolan, Nancy Grant, Lyse Lafontaine, Michel Merkt – Distribution: Films Séville
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