[Critique] Nos belles-soeurs de René Richard Cyr

Adaptation de bon aloi qui conserve une bonne part de l’esprit de la pièce originale, mais qui reste engluée dans le kitsch et le préfabriqué.

Denise Filiatrault et Michel Tremblay dans "Nos belles-soeurs" de René Richard Cyr (Cinémaginaire - TVA Films)
Denise Filiatrault et Michel Tremblay dans « Nos belles-soeurs » de René Richard Cyr (Cinémaginaire – TVA Films)

Il y a 20 ans, Il était une fois dans l’est, avait eu sur moi l’effet d’un choc. Tout comme, à peine plus tard, les mondes colorés et les poqués de la vie de L’eau chaude, l’eau frette, O.K… Laliberté et quelques autres illustrations de l’humanité d’un Québec populaire, avec ses bassesses et ses beautés, ses petits torts et ses grands ses élans de générosité.

On retrouve invariablement dans les regards de Brassard, Forcier et Carrière un attachement des plus sincères envers les « petites gens du vrai monde », et par extension, un amour profond pour tous les comédiens qui leur prêtaient leurs traits le temps d’une vue. Crédibles tout en restant acteurs, simples sans être simplistes, et fortement charismatiques, Frédérique Collin, Jean Lapointe ou Luce Guilbeault, entre autres, ont laissé leur marque – sinon indélébile, à tout le moins référentielle – sur la fiction québécoise.

On retrouve un tout petit peu de cette sincérité dans Nos belles-soeurs, mais on n’y voit que très peu d’authenticité. On assiste surtout à des performances d’acteurs tous très aimés du public, dans un récit édulcoré, qui a perdu en tragédie ce qu’il a gagné en acceptabilité. À l’image des « je trouve cela beau comme cela », des couleurs criardes et des robes à fleurs mises en avant dans la bande-annonce, Cyr a opté pour la comédie, délaissant le langage familier de la pièce originale et la vulgarité du film de Brassard et écartant ou minimisant une bonne part de ses noirceurs. L’humour se résume ici à quelques tirades assassines et à des mimiques burlesques assez basiques. Pour ma part, le seul vrai moment de comédie est le caméo délicieux réservé à Michel Tremblay et Denise Filiatrault, la Hélène du film d’André Brassard et la Rose Ouimet des premières versions de la pièce.

Pour autant, l’amour que porte René Richard Cyr à l’univers de Michel Tremblay est une évidence, tout comme la tendresse dont il fait preuve pour Madame Lauzon, ses soeurs et ses soi-disant amies. Cyr aime ses belles-soeurs et les filme plus souvent qu’autrement en gros plan ou en plan serré. Le million de timbres Gold Star est leur moment de gloire, de joie et de rêve, elles qui sont à peu près toutes, soit déçues par les hommes, soit victimes de violence et de harcèlement.

La masculinité toxique – « modernisation » des thèmes oblige – est le principal moteur du récit. Les maris, les pimps, les amants sont, pour la plupart, pas très beaux à voir. Steve Laplante et René Richard Cyr ont droit aux rôles moins ingrats, l’un en conjoint attentionné et doux, l’autre en vendeur de brosses timide et maniéré. Pour le reste, le scénario fait assez peu de cas de la cupidité et de la trahison, qui étaient plus évidents dans le film de Brassard.

Entre des numéros musicaux disparates, inégaux et parfois étrangement intercalés – à l’image de cette chanson filmée dans une fête foraine insérée entre deux passages de cuisine -, une caricature forcée et un dénouement assez rapidement expédié, l’émotion arrive néanmoins à faire surface ça et là. Anne-Élisabeth Bossé pleurant sur son triste sort dans la salle de bain, Véronic Dicaire cherchant un peu de réconfort auprès de sa soeur qui l’a reniée, font partie de ses moments touchants qui laissent entrevoir ce qu’aurait pu donner une approche moins primesautière, moins kitsch.

Car ce qui m’a vraiment dérouté dans Nos belles-soeurs, c’est l’odeur de préfabriqué qui s’en dégage. On est résolument dans une succession de clips vintage, noyés dans les accessoires tout neufs, les costumes sans accroc, les décors trop parfaits et trop propres, la voiture trop rutilante… Même les balustrades et les rambardes des escaliers de la ruelle semblent avoir été repeintes pour le tournage.

Hier soir, j’ai revu Il était une fois dans l’est. À nouveau, j’ai été ému par la naïveté de la seule Germaine Lauzon qui soit, Manda Parent, et j’ai reversé une larme en voyant le visage défait de Frédérique Collin, agonisant après que son avortement a mal tourné. Il n’y évidemment pas l’équivalent du dixième de la charge émotionnelle procurée par cette séquence remarquable dans Nos belles-soeurs, comédie familiale, musicale, estivale, de bon aloi… et plutôt inoffensive.

Nos belles-soeurs – Québec, 2024, 1h42 – Dans un quartier populaire de Montréal, une ménagère gagne un million de timbres-primes et invite ses amies pour une soirée de collage – Avec: Geneviève Schmidt, Anne-Élisabeth Bossé, Véronic DiCaire – Scénario et Réalisation: René Richard Cyr – Production: Cinémaginaire – Distribution: TVA Films

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