Avec Les oiseaux ivres, Ivan Grbovic livre un acte de foi cinématographique aussi courageux qu’étonnant qui se démarque de la production québécoise, tant par sa facture visuelle que par son récit au kitch assumé. Frappant l’imaginaire dès les premiers instants, le film n’est pas sans nous rappeler ces mélos hollywoodiens surannés campés dans des contrées exotiques et dans lesquels on retrouvait presque invariablement des personnages aux passions sourdes, des trahisons et de douloureux règlements de comptes.
Il y a un peu de tout ça ici. Une mère qui vit dans le mensonge, une adolescente rebelle, un étranger qu’un père refoulé accuse à tort, une fuite en avant (à cheval, comme dans les westerns) et des retrouvailles qui n’en sont peut-être pas. Et du côté mexicain, la mièvrerie d’une amourette interdite, un cartel de drogue de pacotille reclus dans un palais de style rococo et un banquet en forme d’agapes romaines.
Cette superbe quétainerie est renforcée par les images tournées en 35mm anamorphique par Sara Mishara. À l’instar de son travail sur La grande noirceur, la talentueuse directrice photo met en vedette les espaces infinis, enchâssés entre les brumes matinales et le soleil déclinant. Elle filme avec rigueur la cueillette précise et synchrone des laitues, magnifie les visages irisés de couleurs chaudes et dresse de bucoliques tableaux champêtres, certes parfois un peu lisses ou trop travaillés, mais que ne cessent d’émerveiller.
Coloré, Les oiseaux ivres, tire aussi sa force de frappe de la poésie régnant en maître, sans nuire cependant à une illustration plutôt sombre de la réalité. Le mélange est détonnant, mais l’intrigue ne sort pas de la route. De même, la pertinente observation des relations humaines (comprenez les rapports d’exploitation que l’on entretient avec autrui, que ce soit le salarié ou la femme durant le Grand Prix de F1) n’est jamais amoindrie par la féérie ambiante.
À ce regard critique, viennent s’ajouter les drames vécus par les personnages qui croisent le chemin de Willy. Capitalisant sur les prestations nuancées des comédiens, Grbovic et Mishara parviennent à leur donner richesse et complexité, en évitant soigneusement le manichéisme. Le film instaure une chorégraphie des passions qui animent le destin de ces « oiseaux ivres », entraînés dans un ballet émotionnel où tout finit par se répondre et où rien n’est gratuit, quoique le silence des camarades de Willy lors de son « procès » puisse laisser perplexe.
Ici, une pincée de pittoresque, là , un soupçon de romanesque et tout le temps, un fond de chronique sociale réaliste : à n’en pas douter, les auteurs ont su trouver un savant équilibre pour transformer en épopée lyrique ce qui aurait pu n’être qu’une banale quête amoureuse. Espérons qu’il ne faudra pas attendre dix ans avant de voir leur prochaine création!
Les oiseaux ivres – Québec, 2021, 1h44 – Embauché sur une terre agricole au Québec, un jeune Mexicain ayant fui un cartel de drogue tente de retrouver son amour perdu – Avec: Jorge Antonio Guerrero, Hélène Florent, Claude Legault – Réalisation: Ivan Grbovic – Scénario: Sara Mishara, Ivan Grbovic – Production: Kim McCraw, Luc Déry – Distribution: Les Films Opale
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