[Critique] Un été comme ça : histoires d’amour

Denis Côté parvient un fois de plus à nous ouvrir les portes d’un univers unique, captivant et déstabilisant, mettant de l’avant la valeur et la complicité d’un trio de comédiennes impeccables dans des rôles bien plus exigeants que la moyenne.

Extrait Un été comme ça (Denis Côté)
Extrait Un été comme ça (Denis Côté)

On peut ne pas aimer le cinéma si particulier que Denis Côté développe façon boulimie depuis un peu plus de 20 ans. On ne peut en revanche le taxer de tomber dans la facilité pour plaire à l’auditoire. À preuve ce 14e long métrage qui explore la libido de trois femmes vivant une sexualité extrême, héritée de traumas remontant à leurs jeunes années. Le défi est de taille, surtout lorsque l’on pense que ce sujet est la plupart du temps traité par les auteurs contemporains comme objet comique (Le bruit des moteurs, Le trip à trois, Charlotte à du fun) ou sous forme de drame intense s’appuyant sur l’aspect le plus sombre de déviances rejetées par la société (Noémie dit oui, Inès).

Ce qui étonne dans Un été comme ça, c’est qu’à aucun moment on ne se sent voyeur. Durant près de 140 minutes le réalisateur de Curling s’ingénie à mettre en œuvre un récit exempt d’érotisme, de rebondissements et de passion, tout en incluant le spectateur dans la psyché de ses cobayes expérimentant sans trop y croire un exercice de groupe aussi insolite qu’improbable, dans lequel la parole a des vertus libératrices.

Ce faisant, Côté choisit, comme à son habitude, d’explorer les marges et de montrer ceux qui y résident. Or chez lui, l’Autre n’est pas tant l’étranger qu’un versant non sondé de notre propre personnalité. Son regard, doté d’une véritable bienveillance, ne nous permet pas d’imaginer que l’on assiste à une séance de freak show. Y compris lors d’une scène de bondage d’une froide et douloureuse langueur qui n’est pas sans rappeler l’attrait du corps torturé déjà abordé dans Ta peau si lisse. À l’instar de tout le film, ce moment mémorable empreint d’un naturalisme hautement stylisé tient plus de l’orchestration lente et muette d’une forme de danse moderne que de l’illustration malsaine d’une session d’automutilation.

L’approche anti-sensationnaliste se traduit aussi par une évocation douce des stimulations qui règlent la vie du groupe. Éric Rohmer et Pascal Thomas pointent gentiment le bout de leur nez au fil des promenades, des accroches et des relations entre le seul homme de la place avec les invitées. Et si l’on se demande parfois où Côté nous entraîne avec cette histoire qui, ironiquement, n’aurait pas déplu aux scripteurs des nanars de sexploitation d’un autre temps (cf. Les libertines de Pierre Chenal avec une prémisse assez semblable), on finit par se laisser embarquer dans les récits francs et crus de ces femmes marquées par des pratiques sexuelles d’ordinaire jugées comme des tares.

Or, c’est tout le contraire pour Côté qui prend grand soin de ne pas diaboliser ses sujets. Son propos est assez simple, cherchant surtout à nous faire accepter l’ambigüité de nos fantasmes tout en mettant l’accent sur une normalité sans doute inavouable, souvent masquée, mais à laquelle on est tous plus ou moins confrontés. Ici, pas de charge aux vertus cathartiques contre la gent masculine ni de rhétorique à l’unisson des courants de pensée actuels, juste une vision des limites de nos propres désirs.

Alors, oui, on aurait souhaité un peu d’émotion. Aussi, la finale en forme de réflexion plus profonde sur le bien-fondé de la « thérapie » tombe un peu à plat. Mais force est d’admettre qu’avec Un été comme ça, Denis Côté parvient un fois de plus à nous ouvrir les portes d’un univers unique, captivant et déstabilisant, porté par, entre autres, la valeur et la complicité de son trio de comédiennes, toutes impeccables dans des rôles bien plus exigeants que la moyenne.

Un été comme ça – Québec, 2022, 2h19 – trois femmes vivant une sexualité extrême se retrouvent confinées dans une maison pendant 26 jours – Avec: Larissa Corriveau, Laure Giappiconi, Aude Mathieu – Scénario: et Réalisation: Denis Côté – Production: metafilms – Distribution: Maison 4:3

Ma note: 

Les notes :

★★★★★ Excellent
★★★★ Très bon
★★★ Bon
★★ Moyen
Mauvais

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