[Critique] Jour de chasse d’Annick Blanc

Mélangeant le suspense psychologique, l’horreur et le drame réaliste, ce premier long métrage visuellement maîtrisé se démarque par la construction, un peu lente, mais très habile, de son atmosphère anxiogène.

Mélangeant le suspense psychologique, l’horreur et le drame réaliste, Jour de chasse se démarque avant tout par la construction, un peu lente, mais très habile, de son atmosphère anxiogène. Dès le départ, Blanc ouvre des pistes et ménage le suspense, histoire d’étoffer un peu un sujet qui n’a rien de neuf en plus d’être quand même très mince. Seule au milieu de cinq hommes au comportement puéril, est-ce que Nina va s’en sortir? Me risque-t-elle pas de subir les assauts de ces chasseurs éméchés et armés? Malgré la forte charge de sensualité qui s’en dégage, les rapprochements restent dans les limites de l’acceptable, mais on sent bien que le pire peut arriver à n’importe quel moment.

Photo de Nahéma Ricci dans "Jour de chasse" de Annick Blanc (2023)
Nahéma Ricci dans « Jour de chasse » de Annick Blanc (2023)

Bien que ne fermant pas complètement la porte à de possibles dérives, le scénario présente Nina comme une femme de tête, prête à se fondre à la meute, mais désireuse de marquer les limites de son territoire. Face à des partenaires de jeu tous dans la note, Nahéma Ricci (Antigone) donne à son personnage une détermination qui force le respect. Elle finit par être acceptée après avoir passé des rites initiatiques anodins. Toutefois, malgré son aplomb et les distances que gardent les mâles qui l’entourent, on sent bien que la sérénité dans le groupe est toute relative.

Elle vole en éclats lorsqu’un homme noir recueilli au bord du chemin fait son apparition. On me sait qui il est. Il fait montre d’un comportement étrange. Jour de chasse ajuste alors sa focale. La masculinité toxique exposée dès le départ est remplacée par une métaphore sur l’acceptation de l’Autre, représenté ici comme un étranger itinérant qui, on est en droit de le supposer, aurait traversé, à pieds, nos frontières. Ce passage à une réalité sociale contemporaine tangible fait basculer les rapports de force. On passe ainsi de celui qui unit Nina et ses hommes à celui qui va déchirer Doudos – c’est le nom que l’on a donné à l’inconnu – et le groupe.

Le problème, c’est qu’on a plus de mal à y croire. On se demande bien qui est cet homme, d’où il vient et comment il s’est retrouvé si loin perdu au fond du bois. Ne parlant pas français, on ne sait pas trop ce qu’il pense ni ce qu’il cherche et pourquoi il semble vouloir jeter un sort sur ceux qui lui ont offert le gîte et le couvert. Doudos apporte avec lui une charge onirique telle que les mystères s’épaississent au fur et à mesure des rebondissements (un peu tirées par les cheveux), jusqu’à un dénouement dense, presque surchargé, versant vers l’horreur et le gore.

Si sa finale ne manque pas de maîtrise technique et de panache, Jour de chasse est le plus intéressant lorsqu’il scrute les comportements souvent toxiques qui animent un clan refermé sur lui-même. Sans dialogues superflus, sans dramatisation exagérée, et sans trop de didactisme, Annick Blanc trouve le ton juste pour évoquer divers tares humaines (lâcheté, culpabilité non assumée), que l’on croit bien enfouies, mais qui rejaillissent à la moindre occasion. J’aurais toutefois plus de réserves sur l’illustration de la domination du « mâle alpha » (Bernard, campé par Bruno Marcil) sur ses homologues « béta » que j’ai trouvé un peu réductrice. Le droit de libre arbitre sur la vie d’autrui est mieux traité, tout comme l’illustration d’une sorte de retour aux sources s’opérant chez les chasseurs, masquant avec peine une bestialité qui ne demande qu’à se libérer au contact d’une nature oppressante, bien filmée par Vincent Gonneville.

Quoi qu’il en soit, Jour de chasse se laisse regarder sans déplaisir. Falcon Lake de Charlotte Le Bon, Bungalow de Lawrence Côté-Collins, Vampire humaniste cherche suicidaire consentant de Ariane Louis-Seize et, à un degré moindre, Lucy Grizzli Sophie d’Anne Émond, laissaient à penser que le cinéma de genre québécois au féminin prenait des allures intéressantes. Malgré ses petits accrocs, ce premier long métrage d’Annick Blanc confirme nos impressions.

Jour de chasse РQu̩bec, 2024, 1h20 РUne jeune danseuse de la ville se retrouve coinc̩e dans un chalet avec cinq chasseurs m̢les ̩m̩ch̩s et lourdement arm̩s РAvec: Nah̩ma Ricci, Bruno Marcil, Alexandre Landry, Marc Beaupr̩ РSc̩nario et r̩alisation: Annick Blanc РProduction: Midi La Nuit РDistribution: Maison 4:3

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★★★★★ Excellent
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★★★ Bon
★★ Moyen
Mauvais

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