La vie est courte. Il faut continuer de rêver.
Où, comment et avec qui vivre ses dernières heures sur Terre.
Il faudra s’enfuir, se cacher, chacun pour soi. Je ne serai plus là , mais la vie continuera.
C’est avec ces quelques mots d’une rare beauté que débute Mes nuits feront écho, œuvre atypique de Sophie Goyette présentée en octobre 2016 au Festival du nouveau cinéma et que son auteure, réalisatrice et productrice promène depuis lors dans nombre de festivals d’ici et d’ailleurs. Cette semaine, j’ai eu la chance revoir le film à l’occasion de sa sortie en DVD. Étonnement, et c’est très rare chez moi, je me suis rendu compte que je n’en avais presque rien oublié. Comme si l’existence de ses protagonistes et de leurs recherches intimes avait laissé des traces que ne pouvaient effacer toutes les images absorbées depuis lors. Comme si les sensations provoquées par cette projection initiale m’avaient atteint à ce point que leur évidence ne pouvait disparaître. « C’est une émotion que je voulais faire ressentir, comme une partition musicale. Sans trop l’intellectualiser. Le film a été écrit rapidement. Ensuite, j’ai traduit mon scénario en anglais et en espagnol. Avant de rassembler une équipe autour du projet, je suis parti pour voir dans les lieux pour voir si ce film existe déjà . J’ai découvert Mexico en premier, pour chercher des acteurs et des lieux qui confirmaient qu’ils étaient les personnages du film, un peu comme les acteurs. Ça s’est bâti assez naturellement sur une période d’un an pour la préparation. J’ai eu le luxe de m’offrir du temps. J’avais en tête un film à trois écritures distinctes. Et quand on tourne 17 jours dans trois pays, il faut être très préparé. Ça ne laisse pas de place à l’improvisation. Je me suis donc alloué tout le temps nécessaire en préproduction pour le préparer. Et aussi de s’allouer du temps entre chaque pays. Pour monter moi-même les grandes esquisses de ce que l’on avait tourné, puis partir au Mexique montrer ces esquisses aux comédiens et faire pareil pour la Chine. »
Mes nuits feront écho (Photo ©Sophie Goyette)
Tourné dans des pays « chaotiques et surpeuplés », mais possédant « une profondeur dans l’âme », le film relate les parcours d’Éliane, de Romnes et de Pablo, trois êtres intimement liés à la vie, à l’amour, mais aussi directement connectés à la crainte de la disparition. Elle joue la fée de party d’anniversaire, pour tuer le temps et oublier qu’elle n’a pas réussi le conservatoire. La frustration est bien là . Précipitamment, elle quitte Montréal pour aller enseigner le piano quelque part. Au Mexique. À un petit garçon qui s’imagine la nuit dans les forêts denses peuplées d’animaux sauvages. Le père du gamin, Romnes, est un homme seul, coupable d’avoir placé son père Pablo dans une maison de retraite et encore marqué par la mort de sa mère. Et Rachmaninov qui ponctue un instant complice où Éliane explique à son hôte mexicain sa difficulté à survivre à la perte de ses parents. Pour sa part, Romnes a été ramené à la réalité par un coup de fil intrigant. Pour retrouver son père une dernière fois, il partira avec lui en Chine et prendra enfin le temps de lui dire je t’aime. « C’était volontaire de ma part de prendre trois personnages de générations différentes par ce que les thèmes que je veux aborder vont être traversés de manière différente par chacun d’entre eux. » On reconnait en effet dans ce récit quelques moments très proches de nous à différents stades de nos vies. « Pour moi c’était intéressant de laisser plusieurs portes d’entrée pour le film. C’est un film qui engage le dialogue, même si certains spectateurs ont besoin de trois points de suspension… »
Mes nuits feront écho (Photo ©Sophie Goyette)
Après le visionnement au FNC, j’avais la très nette impression que ce premier long métrage de la réalisatrice des remarqués La ronde et Le futur proche (également présents sur le DVD) s’inscrirait dans la durée. C’est maintenant une évidence. « Ce n’est pas autobiographique, mais ça part de mes ressentis. Dans le public en festival, des gens me disaient que les trois personnages n’en formaient qu’un, par vases communicants. J’aime aussi qu’il y ait différents langages cinématographiques montrés à l’écran. » Et ces langages, fort justement, ne jouent pas d’effet de manche ni de sensationnalisme. Ils laissent simplement le champ libre à la singularité des contacts, aux mystères et à une chaleur humaine bien présente en dépit des désespoirs et des incertitudes qui coexistent dans le film. On n’est pas non plus dans un art de recherche formelle ou narrative, mais plutôt dans un poème vibrant incarné et mis en images avec une rare spiritualité. Invitant au voyage dès les premiers instants, dès que résonnent les quelques mots cités plus haut. En approchant le rêve, le propos devient universel. Sophie Goyette en a fait un film unique.
Mes nuits feront écho a été montré à Montréal en janvier de cette année, en région et dans plus de 20 festivals dans le monde et a eu une longue carrière à Mexico où il est resté plus de six semaines à l’affiche. Voilà l’une des plus belles surprises que notre cinéma nous a données. Je ne peux que vous conseiller de vous laisser happer à votre tour grâce au DVD qui vient tout juste de sortir et qui est disponible en achat en ligne (https://goo.gl/forms/rE1FKVfwGQUB5yaj1), ainsi que dans les boutiques Atelier 10, Centre Phi, Port de tête et TIFF Bell Lightbox.
NB : Entrevue avec Sophie Goyette réalisée à Montréal, le 7 décembre 2017.
