La femme de mon frère est une comédie dramatique écrite et réalisée par Monia Chokri, qui signe ici son premier long métrage après Quelqu’un d’extraordinaire, récipiendaire du Jutra du meilleur court métrage en 2014. Le film est centré sur l’histoire d’une trentenaire et son frère, qui vivent une relation fusionnelle jusqu’au jour où ce dernier tombe amoureux d’une belle gynécologue. D’après la réalisatrice, le film parle de « la famille, de la place des intellectuels et du savoir dans la société, de l’immigration, mais aussi d’identité, d’ethnicité, à savoir si cela a un sens de dire d’où l’on vient. » [1].
La femme de mon frère est présenté en première mondiale dans la sélection officielle du Festival de Cannes, et sera projeté le 15 mai en ouverture de la section « Un certain regard ».
[1] citation extraite du journal Le devoir, mis en ligne le 9 juin 2018.
Entrevue avec la réalisatrice
Le point de départ du film, cette relation fusionnelle entre une sœur et un frère, est très intime. Est-ce autobiographique ?
Pour écrire, je pars toujours d’une émotion, d’un sentiment très personnel. Pas forcément un événement précis, mais plutôt une interrogation, quelque chose qui m’a surprise, émue. J’ai une relation assez fusionnelle avec mon frère. Le jour où mon frère est tombé amoureux, j’ai senti qu’il fallait que je lui laisse de la place pour vivre ça, loin de moi. C’était étrange. Mais ce qui m’a le plus surpris, c’est que j’observais chez lui des comportements avec son amoureuse qu’il avait auparavant avec moi. C’était troublant, amusant. Ce sentiment très diffus m’est resté et j’ai commencé à écrire une histoire, à imaginer des personnages.
Peut-on dire que c’est un film sur le couple, un film d’amour, même si c’est entre un frère et une sœur ?
Bien sûr ! Mais plus encore qu’un film d’amour, je dirais que c’est un film sur l’apprentissage de l’amour. Je pense que Sophia et Karim ne savent pas vraiment aimer et finissent petit à petit par apprendre l’un sans l’autre à être à deux. C’est aussi et surtout un film sur la famille. Je trouvais très important qu’on comprenne d’où ce duo venait, par quels parents, dans quel cocon ils avaient été élevés. Deux divorcés qui s’aiment. Ça prouve que malgré tout, malgré les galères, on continue à s’aimer. C’est ça aussi la famille. Je voulais faire un film d’amour, un vrai, sur la famille. Mais c’est aussi le portrait d’une jeune femme, d’un entre-deux. J’aime l’idée qu’il y ait plusieurs films en un.
Est-ce que le mal-être de Sophia, son ennui, ses doutes, ses frustrations, sa situation précaire sont le reflet pour vous d’une génération ?
Je ne parle pas au nom des gens. Je raconte une époque que j’observe. C’est ma vision. Je ne sais pas si c’est générationnel, mais ce sont des états, des situations que j’ai pu croiser. J’aime l’idée de pouvoir écrire une pure fiction qui finit par croiser la réalité. C’est pour ça, par exemple, que j’ai utilisé l’image de Kim Kardashian. Pour moi, aujourd’hui, à travers elle et l’obsession qu’elle peut créer, c’est le meilleur moyen de réfléchir et de parler de notre rapport maladif aux images. J’aime que la pop culture s’invite dans la fiction. C’est une fine ligne à trouver, mais elle permet de mieux comprendre les situations, les personnages. On parle le même langage. Je n’ai pas l’impression de raconter une jeunesse spécifiquement québécoise. Bien sûr que le climat, le contexte social du Québec influe sur les situations et les personnages, mais j’ai l’impression que ce que vit Sophia, son parcours, est très partagé aujourd’hui dans une grande partie des sociétés occidentales.
Comment définiriez-vous Sophia ? Elle est « attachiante » ?
Quand j’écris ce personnage, je ne me dis pas qu’elle est chiante. Au contraire, je la comprends. Pour moi, à chaque scène, elle ne fait que mettre des mots sur ce qu’elle vit. Elle constate tout fort que ça ne va pas. Après, au montage, quand on met toutes ces scènes côte à côte, effectivement on peut la trouver un peu acide. Mais c’est ce qui fait sa drôlerie, je crois. Elle est acide sans l’intention véritablement de l’être. Elle s’exprime, juste. Je pense que si c’était un homme on ne me poserait pas la question. On aime bien les personnages masculins bougons type Jean-Pierre Bacri, Bill Murray. C’est dans les mœurs, ça passe. Mais dès qu’il s’agit d’une femme, là on commence tout de suite à émettre des réserves, à s’interroger, à s’étonner même qu’une femme puisse être comme ça. Plusieurs fois, d’ailleurs, on m’a même mise en garde : « Attention, il ne faut pas qu’elle soit trop antipathique ! ». Comme si un personnage féminin devait forcément être dans la séduction. A l’arrivée, je pense que Sophia ne fait aucun compromis, ne cherche jamais à plaire et pourtant elle n’est jamais antipathique.
Comment avez-vous conçu l’humour, l’esprit très singulier de ce personnage ?
Ce que j’aime faire, c’est écrire comme on est dans l’intimité. Quand on est seul avec soi, sans le regard des autres, on fait des choses pas belles, pas élégantes, pas toujours logiques. Quand on est seul, on est sans filtre. C’est pareil pour tout le monde. Pour moi, Sophia amène ça. Quand on la voit, on se dit qu’elle vit comme si le regard des autres n’existait pas. C’est très libérateur.
Au début, elle est très cynique, très ironique. Mais petit à petit, elle abandonne et se laisse toucher par les évènements, les gens. Est-ce que pour vous, le cynisme c’est la maladie de l’époque ?
Pas tant le cynisme que le sarcasme. Sophia est caustique parce qu’elle met le monde à distance. On fait tous un peu ça aujourd’hui. On se protège, on se renferme en utilisant l’humour, l’esprit comme un rempart à l’émotion. On vit perpétuellement dans la posture. C’est épuisant. Sophia a ça. Mais sa « rupture » avec Karim l’oblige à se mettre en danger et aller à la rencontre des autres. Je n’avais pas forcément écrit et pensé le film dans ce sens. Mais au tournage, notamment dans la scène où elle enseigne aux migrants, j’ai senti qu’en étant au contact des autres, spontanément Sophia s’illuminait. Je me suis mise simplement à filmer Anne-Élisabeth, à regarder son visage s’éclairer. Ça a donné ce léger aspect parcours initiatique au film. C’est comme si en filmant d’autres personnages, en regardant Sophia s’ouvrir aux autres, le film s’était ouvert également.
La mise en scène est très stylisée. Beaucoup de jump cuts, d’effets de montage couplés avec une direction artistique très esthétique. Pourquoi avoir privilégié cette approche très artificielle, très pop ?
J’ai été très claire avec ma cheffe opérateur et mon directeur artistique. Je leur ai dit « Il n’y a qu’une seule règle : il n’y a pas de règle ! ». A partir de là , on a pu s’amuser. Je veux que mes plateaux de tournage soient joyeux, qu’on invente, qu’on ose, qu’on n’ait pas peur de faire du cinéma. Pour ce passage au long métrage, j’avais envie de me remettre en question et de me laisser surprendre. Josée Deshaies, ma cheffe opérateur, m’a beaucoup aidée à me challenger. Elle m’a questionnée et m’a toujours ramenée au scénario. Même chose avec mon directeur artistique, Éric Barbeau. Il fallait que chaque plan, chaque décor, chaque effet apporte quelque chose à la situation. On a vraiment travaillé tous les trois en synergie. On était dans une énergie communicative, joyeuse. On avait l’espace pour créer. Éric m’a offert des décors incroyables, très graphiques, avec à chaque fois des éléments qui faisaient sens. Il y a presque un côté bande dessinée dans le film. On a créé tous ensemble des images. Tout est plus simple quand on ne s’impose aucune règle. Je suis très fière de cette énergie. A l’arrivée, ça donne effectivement quelque chose de très pop. Mais je n’ai jamais donné volontairement cette direction. C’est la liberté et la spontanéité qui donne cette impression. Même chose avec la bande originale. J’aime énormément la musique, c’est une de mes passions. Je n’avais pas envie d’une musique originale, alors j’ai cherché des morceaux singuliers, des raretés, des musiques qui commentent, racontent ce qui se passe. D’ailleurs, il y a tout un parcours musical dans le film. On passe au début de musiques très occidentales à petit à petit, des sonorités plus orientales au furet-à -mesure que Sophia s’ouvre aux autres.
Comment avez-vous choisi votre duo ?
Elle est peu connue en France, mais Anne-Élisabeth Bossé est une actrice importante au Québec. Elle a quelque chose de très drôle, très touchant. C’est un vrai phénomène. Elle est profondément généreuse. Elle a quelque d’un clown, avec cette peau laiteuse et ce visage très aquilin. Je pourrais la regarder des heures. C’est un vrai personnage, même dans la vie. J’ai la chance que ce soit aussi une de mes très très bonnes amies. On a une intimité, une proximité qui a beaucoup aidé sur le tournage. Ça m’a permis d’aller loin avec elle et qu’elle me fasse confiance. Elle a une délicatesse et un humour très naturel qui ont beaucoup apporté au personnage.
Et Karim ?
Je voulais un acteur qui soit profondément, irrésistiblement séduisant. Un type qui attire tous les regards. Une sorte de magnétisme, le type bien dans ses baskets et qui le sait. Et ça, c’est Patrick Hivon. Quand il rentre dans une pièce, tout le monde le regarde. Il est séduisant sans être jamais dans la séduction. Il respire une forme d’assurance, de bien être viril, qui allait parfaitement avec le personnage de Karim. Pareil, on se connaissait bien avec Patrick, on a déjà tourné ensemble. Je me sentais en confiance avec eux deux. Pour raconter cette relation de fusion, il fallait que j’aie deux acteurs avec une forte personnalité. Pour qu’ils existent ensemble, mais aussi séparément. On a vraiment essayé à trois de chercher l’équilibre entre la bonne humeur et la tension. Il y a quelque chose entre Sophia et Karim d’électrique. Mais il fallait toujours rester à la bonne distance pour pas que ça devienne malsain ou gênant.
Parlons de ce dernier plan très métaphorique avec tous les frères et sœurs, dont vous et votre frère, sur des barques. C’est une manière de montrer que l’histoire de Sophia et de Karim c’est celle de tous les frères et sœurs ?
Pas exactement. Au départ, c’est un rappel du plan sur la photo où petits, ils sont tous les deux dans une barque. Une manière de montrer qu’ils ont grandi, mais resteront toujours un frère et une sœur. Et puis j’ai eu envie qu’on les perde de vue et qu’ils se mélangent à d’autres couples. J’avais envie qu’on décolle, qu’on soit dans une sorte de réalisme magique où tout est très métaphorique. C’est comme un ballet de frères et sœurs sur ce lac. Et puis j’aime assez l’idée de la réalité, des non-acteurs qui interfèrent dans une pure fiction. Comme si les histoires et la vie se rencontraient. Il y a ça dans les films du Cinéma Direct, la nouvelle québécoise des années 60 que j’aime beaucoup. Les films de Claude Jutra, Michel Brault, Pierre Perrault m’ont beaucoup influencée. Leur cinéma mélangeait la fiction et le documentaire, n’avait pas peur de brouiller les pistes et d’aller là où il voulait aller. J’avais envie de terminer le film par ce mélange de réalité et de fiction pour que ça décolle vers autre chose.
Source: Entrevue avec Monia Chokri disponible dans le dossier de presse du film
Trame sonore
Work it interprété par Marie Davidson (Marie Davidson) / Café Petite Chatte interprété par Bernardino Femminielli (Bernardino Toledo Granados) / Only you interprété par Steve Monite (Steve Monite) / Sonate pour flûte, BWV 1013: Allemande interprétée par Jed Wentz & Michael Borgstede (Johann Sebastian Bach) / Un jeune homme bien interprété par Petula Clark (Raymond Davies) / Männer Müssen Männer Sein interprété par Britt Kersten (Gerhard Siebholz, Dieter Schneider) / Sonate pour flûte, BWV 1013: Siciliano interprétée par Andrea Olivia & Angela Hewitt (Johann Sebastian Bach) / Free Jazz interprété par The Ornette Coleman Double Quartet (Ornette Coleman) / Sonate pour flûte, BWV 1013: Allemande interprétée par Jadwiga Kotnowska (Johann Sebastian Bach) / Tambor Majimba interprété par Choco & His Mafimba Drum Rhythms (Zulu Poba) / 16 shots interprété par Stefflon Don (Stephanie Allen, Frederick Gibson) / Sonate pour flûte, BWV 1013: Sarabande (live) interprété par Andrea Mogavero (Johann Sebastian Bach) / Pour moi c’est la nuit interprété par Djurdjura (Djurdjura) / Le Bonheur me va bien interprété par Marie-Ève Fournier (Dany Bédar) SODRAC / Artbeat Cypher interprété par Wasiu, Lou Phelps & KNLO (Laurent Bastien, Louis Célestin, Kenlo Craqnuques, Wasiu Salami) / Rouhi Ya Hafida interprété par Mallek Mohammed (Mallek Mohammed) / Pavane, Op. 50 interprété par Choeur de l’Orchestre Symphonique de Montréal, Charles Dutoit et Orchestre Symphonique de Montréal (Gabriel Fauré) / Emmène-moi au bout du monde interprété par Claude Léveillée (Claude Léveillée) / Symphonie No.4, Op.60: Allegro ma non troppo interprété par Sir Simon Rattle & Vienna Philharmonic (Ludwig van Beethoven) / Choucoune interprété par Issa El Saieh.
Résumé
Après avoir perdu la promesse d’un poste à l’université résultant d'une controverse qu’a suscitée sa thèse de doctorat, Sophia, une jeune trentenaire sans le sou, se voit contrainte de vivre chez son frère Karim. La relation fusionnelle qu’elle entretient avec ce dernier sera mise à l’épreuve lorsque son frère tombe éperdument amoureux d’Eloïse, le médecin de Sophia. (OFFICIEL)
Distribution
Anne-Élisabeth Bossé (Sophia), Patrick Hivon (Karim), Sasson Gabai (Hichem), Evelyne Brochu (Éloïse), Mani Soleymanlou (Jasmin), Micheline Bernard (Lucie), Magalie Lépine Blondeau (Anabelle), Niels Schneider (Alex), Noah Parker (Steeven «Stick» Caron), Amélie Dallaire (Mireille), Marie Brassard (Lise Poitras), Paul Savoie (Paul sauveur), Maurice De Kinder (Gilles Saint-Jacques), Kimberly Laferrière (Julia), Mylène Mackay (Émilie), Joëlle Paré-Beaulieu (Catherine), Jocelyne Zucco (Gisèle), Carmen Sylvestre (Francine)
Fiche technique
Genre: comédie dramatique - Origine: Québec, 2019 - Durée: 1h57 - Langue V.O.: Français - Image: 1.66:1 - Visa: en attente - Première: 15 mai 2019, au Festival de Cannes - Sortie en salles: 7 juin 2019 sur 13 écrans (Québec), 26 juin 2019 (France) - Tournage: durant 28 jours, à Montréal et ses environs, sur 2 saisons, à l’hiver et en juin 2018 - Budget approximatif: 3,2 M$
Réalisation: Monia Chokri - Scénario: Monia Chokri - Production: Nancy Grant, Sylvain Corbeil - Producteur exécutif: Michel Merkt, Monia Chokri - Société de production: metafilms avec la participation financière de Téléfilm Canada, SODEC, Fonds Harold Greenberg, crédits d'impôts fédéraux et provinciaux - Distribution: Les Films Séville (Québec), Memento Films (France)
Équipe technique - Costumes: Patricia McNeil - Direction artistique: Éric Barbeau - Mixage: Luc Boudrias - Montage images: Monia Chokri, Justine Gauthier – Musique: Olivier Alary - Photographie: Josée Deshaies - Son: François Grenon, Sylvain Bellemare, Francis Gauthier