Jutra 2014 : les élus et des parias

La richesse du cinéma québécois l’an passé en a laissé certains sur le carreau. Mais, même si aucune sélection ne peut être parfaite, les mises en nomination aux Jutra 2014 ont de quoi faire réfléchir.

Photo de la comédienne Gabrielle Marion-Rivard dans le film Gabrielle de Louise Archambault (2013, ©micro_scope)

Gabrielle Marion-Rivard dans le film Gabrielle de Louise Archambault (2013, ©micro_scope)

Il y a un an à peine, un semblant de consensus s’était fait jour parmi les journalistes et observateurs en ce qui avait trait aux mises en nomination des Jutra. Choisis depuis trois ans maintenant par des groupes appartenant à plusieurs associations professionnelles, les films, même les moins connus, nous semblaient avoir été traités avec équité. La sélection regroupait autant les films « populaires » que les propositions plus audacieuses de nos jeunes auteurs  (lire mon article à ce sujet). Un pas dans la bonne voie pensait-on.

Hélas, les années se suivent et ne semblent pas pouvoir se ressembler. Cette année, Louis Cyr mène le bal avec onze nominations. Gabrielle le suit avec neuf et Le démantèlement termine le trio de tête avec six sélections.

Pas la peine d’y regarder à deux fois pour constater que cette liste regorge de nombreuses et inexplicables incohérences. Certes, la grande quantité de compétiteurs (39 films éligibles) et la grande qualité de nombreux d’entre eux a augmenté les chances d’injustice et de déception. Mais tout de même, il nous apparaît étonnant que l’homme fort du box office obtienne un si large plébiscite, au détriment d’Å“uvres beaucoup plus signifiantes.

Laurence Anyways l’an dernier, Monsieur Lazhar en 2012 et même Incendies en 2011 avaient moins de sélections que Louis Cyr.

De plus, comment ne pas s’indigner devant l’absence des Le météore de François Delisle et Une jeune fille de Catherine Martin. Ils ont été quasi-unanimement salués dans les bilans annuels et ont des qualités artistiques et techniques qui se devaient d’être reconnues par des pairs. Louis Cyr a l’honneur d’avoir été choisi comme prétendant au titre de meilleur film, mais pas ces deux-là.

Même si l’on se satisfait de la forte présence de Chasse au Godard d’Abbittibbi, Vic + Flo ont vu un ours et Diego Star, comment ne pas être surpris aussi de l’absence de Sarah préfère la course ou de 4 Soldats de Robert Morin. Dans le cas du premier, a-t-on déjà perdu de vue que, du haut de ses 25 ans, et pour un premier film, Chloé Robichaud s’est retrouvée à Cannes et dans plusieurs dizaines de festivals cette année ? Dans le cas du second, comment justifier deux minuscules sélections techniques, alors que la photo, le scénario ou encore la direction artistique auraient largement mérités d’être mis de l’avant ? Malgré ses prix à l’étranger Diego Star, n’est pas dans la liste des films s’étant le plus illustrés hors du Québec, alors qu’Inch’Allah (un film de 2012) ou Tom à la ferme en font partie.

Enfin, car c’est le meilleur, se peut-il que Gabrielle ait existé sans Gabrielle Marion-Rivard ? Elle qui est l’inspiration même du film et qui constitue son plus grand atout, n’a même pas droit à une sélection dans la catégorie meilleure actrice, vraiment ? Par contre, Louis Cyr, encore lui, parvient à y placer un pion. Une erreur qui restera longtemps dans les mémoires à n’en pas douter.

Voilà quelques unes des errances de cette sélection. Au-delà des inévitables ricanements de dédain et des rancÅ“urs passagères, ces erreurs de casting ne représentent que trop bien les opinions divergentes qui ont cours dans l’industrie. D’un côté on rejette ces maudits chiffres du box office parce que ça ne veut rien dire, et nous louons sans arrêt nos « films de festivals » à grands renforts de communiqués, de messages Facebook et autres articles promotionnels, et de l’autre, on est totalement incapable de récompenser ces films à leur juste valeur, et ainsi remercier ceux et celles qui contribuent à rendre notre cinématographie aussi riche. Triste constat.

Terminons en s’interrogeant sur la présence de trois coproductions québécoises minoritaires : Erased, Jappeloup et Upside Down qui récoltent 6 nominations, ainsi que celles de trois films dont la sortie commerciale au Québec n’a pas eu lieu l’an dernier, comme stipulé dans l’une des règles énoncées par les organisateurs. Un questionnement de plus sur une sélection qui en contient beaucoup trop.

Jutra 2014 : la liste des nommés

Meilleur film

  1. Catimini
  2. Le démantèlement
  3. Diego Star
  4. Gabrielle
  5. Louis Cyr : l’homme le plus fort du monde

Meilleure réalisation

  1. Louise Archambault, Gabrielle
  2. Denis Côté, Vic + Flo ont vu un ours
  3. Robert Lepage et Pedro Pires, Triptyque
  4. Sébastien Pilote, Le démantèlement
  5. Daniel Roby, Louis Cyr : l’homme le plus fort du monde

Meilleure actrice

  1. Chloé Bourgeois, Diego Star
  2. Lise Castonguay, Triptyque
  3. Rose-Maïté Erkoreka, Louis Cyr : l’homme le plus fort du monde
  4. Marie-Évelyne Lessard, Les manèges humains
  5. Pierrette Robitaille, Vic + Flo ont vu un ours

Meilleur acteur

  1. Gabriel Arcand, Le démantèlement
  2. Antoine Bertrand, Louis Cyr : l’homme le plus fort du monde
  3. Alexandre Landry, Gabrielle
  4. Marcel Sabourin, L’autre maison
  5. Issaka Sawadogo, Diego Star

Meilleure actrice de soutien

  1. Marie Brassard, Vic + Flo ont vu un ours
  2. Sophie Desmarais, Le démantèlement
  3. Mélissa Désormeaux-Poulin, Gabrielle
  4. Muriel Dutil, Ressac
  5. Frédérique Paré, Catimini

Meilleur acteur de soutien

  1. Guillaume Cyr, Vic + Flo ont vu un ours
  2. Normand Daoust, Les manèges humains
  3. Benoit Gouin, Gabrielle
  4. Vincent-Guillaume Otis, Ressac
  5. Gilles Renaud, Le démantèlement

Meilleur scénario

  1. Louise Archambault, Gabrielle
  2. Denis Côté, Vic + Flo ont vu un ours
  3. Martin Laroche, Les manèges humains
  4. Frédérick Pelletier, Diego Star
  5. Nathalie Saint-Pierre, Catimini

Meilleure direction de la photographie

Steve Asselin, L’autre maison, Nicolas Bolduc, Louis Cyr : l’homme le plus fort du monde, Michel La Veaux, Le démantèlement, Nathalie Moliavko-Visotzky, Catimini, André Turpin, Whitewash.

Meilleure direction artistique

Jean Babin, Christian Légaré, David Pelletier, Triptyque, Isabelle Guay, Upside Down, Marie-Hélène Lavoie, Chasse au Godard d’Abbittibbi, Michel Proulx, Marc Ricard, Louis Cyr : l’homme le plus fort du monde, Marjorie Rhéaume, Diego Star.

Meilleur son

Sylvain Bellemare, Pierre Bertrand, Bernard Gariépy Strobl, Gabrielle, Stéphane Bergeron, Martin Pinsonnault, Simon Poudrette, Louis Cyr : l’homme le plus fort du monde, Michel B. Bordeleau, Frédéric de Ravignan, Gavin Fernandes, Jappeloup l’étoffe d’un champion, Yann Cleary, Martin Rouillard, Chasse au Godard d’Abbittibbi.

Meilleur montage

Richard Comeau, Gabrielle, Dominique Fortin, Erased, Louis-Martin Paradis, L’autre maison, Nathalie Saint-Pierre, Catimini, Arthur Tarnowski, Whitewash.

Meilleure musique originale

Olivier Auriol, Elisapie Isaac, La légende de Sarila, Ramachandra Borcar, Upside Down, Benoît Charest, L’autre maison, Michel Cusson, Rouge sang, Thomas Hellman, Les manèges humains.

Meilleurs costumes

Carmen Alie, Louis Cyr : l’homme le plus fort du monde, Caroline Bodson (Chasse au Godard d’Abbittibbi), Judy Jonker (Triptyque), Nicoletta Massone (Upside Down), Madeleine Tremblay (Rouge sang).

Meilleur maquillage

Kathryn Casault (Les 4 soldats), Kathryn Casault (Whitewash), Maïna Militza (Chasse au Godard d’Abbittibbi), Colleen Quinton (Erased), Natalie Trépanier, Louis Cyr : l’homme le plus fort du monde

Meilleure coiffure

Réjean Goderre (Il était une fois les Boys), Manon Joly (Lac Mystère), Martin Lapointe, Louis Cyr : l’homme le plus fort du monde, Maïna Militza (Chasse au Godard d’Abbittibbi), Denis Parent (Les 4 soldats).

Meilleur long métrage documentaire

Le chant des ondes de Caroline Martel (Artifact, ONF), Dans un océan d’images d’Helen Doyle (InformAction), En attendant le printemps de Marie-Geneviève Chabot (InformAction), Le prix des mots de Julien Fréchette (MC2 Communication Média, ONF), Québékoisie de Mélanie Carrier et Olivier Higgins (MÖ films).

Meilleur court ou moyen métrage de fiction

Gaspé Copper d’Alexis Fortier Gauthier (Peripheria), Mémorable moi de Jean-François Asselin (Les productions Jean-François Asselin inc.), Nous avions de Stéphane Mourkazel (Voyelles Films), L’ouragan fuck you tabarnak ! d’Ara Ball Ara Ball (7Shadows Production), Quelqu’un d’extraordinaire de Monia Chokri (Metafilms).

Meilleur court ou moyen métrage d’animation

Le courant faible de la rivière de Joël Vaudreuil (Parce Que Films), La fin de Pinky de Claire Blanchet (ONF), Errance d’Eleonore Goldberg (Eleonore Goldberg), Gloria Victoria de Theodore Ushev (ONF), Le jour nous écoute de Félix Dufour-Laperrière (ONF).

Film s’étant le plus illustré hors Québec

Le démantèlement, Gabrielle, Inch’Allah, Tom à la ferme, Vic + Flo ont vu un ours.

Jutra Billet d’or

Louis Cyr : l’homme le plus fort du monde – Christal Films Productions (Christian Larouche), Gaëa Films (Caroline Héroux, Stéphanie Héroux)

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