Geneviève Brouillette et Denis Mercier dans un extrait du film Liste noire de Jean-Marc Vallée (Source : collection personnelle)
Dans les quatre pages qui suivent, je reproduis sans modification ni correction un passionnant entretien accordé par le cinéaste Jean-Marc Vallée, à l’occasion de la sortie en salles de son premier long métrage Liste noire, le 5 septembre 1995. 20 ans plus tard, ce texte offre une vision éclairante du métier pratiqué par l’un des plus importants cinéastes québécois en activité. Le texte original – n’est pas signé – avait été publié dans le dossier de presse du film, à l’époque distribué par Astral Films et qui avait été nommé pour le prix Génie du meilleur film canadien l’année suivante.
Pour mémoire, Liste noire est disponible en format DVD au Québec.
Entretien avec Jean-Marc Vallée
Vous savez que le public cherche toujours à anticiper et qu’il aime pouvoir dire : Ah!, moi, je sais ce qui va se passer maintenant. Alors, il faut non seulement tenir compte de cela, mais diriger complètement les pensées du spectateur – Alfred Hitchcock
Commencer cet entretien avec une citation du maître du suspense, c’est vous dire l’importance que je lui accorde et l’influence qu’il a sur ma façon d’aborder le cinéma, c’est-à -dire, comme un jeu. Un jeu avec le public. Un jeu qui utilise l’art cinématographique pour tromper, déjouer, faire peur, faire rire, pour créer des émotions de masse. À ce titre, le film PSYCHO est le parfait exemple de cinéma, et pour Hitchcock, c’est son expérience la plus passionnante de jeu avec le public. «Avec PSYCHO, je faisais de la direction de spectateur», affirmait-il lors de ses fameux entretiens avec François Truffaut.
FAIRE DE LA DIRECTION DE SPECTATEUR. C’est à partir de cette idée et en me la rappelant constamment que j’ai entrepris la réalisation de LISTE NOIRE.
Comment, justement, avez-vous traité la réalisation de LISTE NOIRE?
LISTE NOIRE est, pour moi, un suspense avec tous les éléments que le genre met de l’avant danger, peur, action, meurtre, mystère. Mais ce film n’est pas qu’un simple exercice de style, un suspense ordinaire où l’action et le rythme sont maîtres et rois. LISTE NOIRE est aussi une critique sociale mordante présentée sous les traits d’un drame de moeurs à la fois cynique et poignant. Je pense que le film est «baveux».
La réalisation de LISTE NOIRE m’intéressait pour plusieurs raisons. D’abord, j’étais intéressé à relever le défi de réaliser un «thriller» que je trouvais bien écrit. Le suspense, en tant que genre, permet une grande exploration du langage cinématographique, deuxièmement, le côté «baveux» du scénario me plaisait bien. Et troisièmement, j’aimais les personnages, en commençant par le «méchant»! «Quel bel écoeurant!». LISTE NOIRE est, certes, ce qu’on appelle un film «store driven», un film où l’histoire vole la vedette, mais c’est aussi, pour moi, un film de personnages.
J’ai donc abordé la mise en scène de façon à ce que le film nous soit présenté autant comme celui d’une femme qui cherche à se sortir du pétrin, que celui d’un «honnête» juge aux prises avec une cause à scandale. Les points de vue de Jacques Savard et de Gabrielle Angers ont donc été privilégiés. Le public sera ainsi amené à s’identifier tantôt à l’un, tantôt à l’autre. L’émotion présente dans nos scènes de suspense est la peur, et comme Monsieur Hitchcock nous le rappelle : «Cette peur dépend de l’intensité que met le public à s’identifier avec la personne en danger».
