Liste noire – Entretien avec Jean-Marc Vallée (1995)

À l’occasion de la sortie en salles de son premier long métrage Liste noire, Jean-Marc Vallée accordait un passionnant entretien expliquant sa vision du cinéma. Un texte qui offre une vision éclairante sur l’un des plus importants cinéastes québécois en activité.

Un extrait du film Liste noire de Jean-Marc Vallée (Source : collection personnelle)

Un extrait du film Liste noire de Jean-Marc Vallée (Source : collection personnelle)

Comment avez-vous approché le travail de la caméra dans votre film?

Premièrement, il n’y a aucun plan à l’épaule dans le film. Je voulais que le l’image soit stable, nette et sobre, à l’image du milieu qu’elle dépeint. La caméra est assez discrète. Elle ne devait en aucun cas attirer l’attention par un mouvement quelconque. Elle devait être au service d’une mise en scène qui se voulait transparente être au service de l’histoire et des personnages.

J’ai donc opéré davantage de panoramiques que de «travellings». La mise en scène faisait déplacer les personnages le plus souvent possible. En utilisant des lentilles â longues focales, la caméra devait donc suivre les personnages dans leurs déplacements, ce qui permettait de dynamiser un peu l’image.

Toutefois, la caméra a su aussi initier elle-même des mouvements pour créer un suspense, un effet de surprise. Par exemple, un mouvement très lent qui commence en plan moyen sur un personnage qui termine en gros plan crée une forte tension dans la situation où le personnage filmé cherche ou s’inquiète de la présence d’un intrus caché. Nous, le public, on ne peut plus chercher avec ce personnage puisque le décor disparaît graduellement. Cela donne beaucoup d’impact au gros plan.

Nous avons surtout fait appel à des lentilles de longues focales qui mettaient davantage les personnages en valeur. On attache ainsi moins d’importance aux décors et plus aux personnages. Ces lentilles à longues focales nous ont amené à travailler en plan plus serré. Ainsi, cette approche mettait les personnages au centre du drame.

Comment justifiez-vous l’utilisation du ralenti dans la scène d’ouverture?

Le ralenti peut signifier bien des choses au cinéma. Dans mon cas, j’ai voulu ralentir l’action pour prendre le temps de la voir, puisqu’il s’agissait d’une action très rapide. Mais le ralenti est aussi souvent utilisé pour donner de l’importance à une action, à un événement ou à un personnage. Au contraire, ce que j’ai voulu dire au public avec le ralenti, c’est simplement : «voici un moment important, regardez bien, écoutez bien. » De plus, le ralenti me permettait de donner un caractère particulier à la scène, de briser le temps et de m’éclater sur le plan sonore. J’ai donc donné beaucoup d’importance aux effets sonores qui accompagnent l’arrestation du juge et de la prostituée. Tous les effets sont exagérés : des marteaux de juge qui cognent en écho accompagnent chaque «flash» d’appareil-photo. Pour le juge pris les culottes baissées, il n’y a aucun doute, c’est la fin.

La couleur rouge est très présente dans votre film. Pourquoi?

Pour créer une ambiance de danger. Plus on avance dans le film, plus le rouge est présent. Et plus le rouge est présent, l’ambiance devient lourde, dangereuse, violente. Nous avons peinturé tous les murs en rouge chez Gabrielle. Car plus le film avance, plus l’action se déroule à cet endroit. Sa maison est isolée. Elle a un air de «je ne sais trop si je ne m’y aventurerais la nuit». Hitchcock gardait souvent les maisons isolées dans ses films «pour s’assurer que la peur y soit sans recours», disait-il. Cet isolement de Gabrielle est volontaire. Elle préserve ainsi l’anonymat de ses clients.

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