Alors que Maria Chapdelaine est disponible depuis mardi en format cinéma-maison et numérique, il me semble intéressant de vous suggérer la lecture de « Voir disparaître – Une lecture du cinéma de Sébastien Pilote » de Thomas Carrier-Lafleur, publié fin septembre par les Éditions L’Instant Même.
Avec cet essai, l’auteur passe en revue les cinq longs métrages du cinéaste québécois, qu’il analyse minutieusement un par un, dans des chapitres d’une vingtaine de pages chacun, au style demeurant très agréable à lire. En revenant sur les thèmes de prédilection du réalisateur de Le vendeur, Lafleur inscrit le plus récent métrage de Pilote au sein d’un corpus cohérent, qui, bien que reprenant des structures narratives communes, n’hésite pas à se réinventer de fois en fois.
Si l’on exclut ses courts métrages, la filmographie de Sébastien Pilote tient sur dix ans. Dix ans durant lesquels l’œuvre de Louis Hémon aura profondément influencé le réalisateur. Il n’est donc pas étonnant que les quatre films précédents l’adaptation du célèbre roman soient parsemés de références à l’univers de cette famille de défricheurs saguenéens. Décortiquant les affinités, les corrélations et les interdépendances, Carrier-Lafleur instaure l’idée d’un cycle qui trouve son accomplissement avec Maria Chapdelaine, film qui du reste devait être le quatrième du lot, n’eut été des délais de préparation et de montage financier allongés.
L’essayiste dresse le portrait de cet être déchu de sa fierté qu’est le François Paradis du Vendeur. Il démontre que les problèmes humains vécus par le Gaby du Démantèlement et ceux de Samuel Chapdelaine représentent bien peu face à la nature grandiose. L’auteur crée également un lien entre La disparition des lucioles – pourtant considéré comme une transition – avec Maria Chapdelaine en rappelant que Léo et Maria sont deux jeunes femmes au début de « quelque chose ». La problématique « partir » ou « rester » est adéquatement mise en évidence, ainsi que les notions de sacrifice, de disparition et de transformation ou de déplacement dans l’espace territorial, entre autres. Autant de thèmes et de forces qui sont emblématiques de l’œuvre de Pilote, qui selon Carrier-Lafleur est désormais prête pour une « prochaine métamorphose ».
S’appuyant sur des figures connues de la philosophie (Bachelard, Deleuze) ou du cinéma (Ford, Truffaut, Pasolini), le livre accorde avant tout une part importante aux diverses entrevues que le cinéaste a données aux médias tout au long de sa carrière. Ces discussions, aussi pertinentes soient-elles, portent, consciemment ou non, le sceau de la promotion commerciale entourant toute sortie en salle de film. Il aurait été judicieux de les bonifier avec l’ajout d’entretiens contemporains, à froid, détachées de leur contexte. Quoi qu’il en soit, l’utilisation des notes préparatoires et des versions successives des scénarios, jumelée à de nombreux photogrammes, apporte à la démonstration une richesse documentaire particulièrement efficace. En somme, si vous souhaitez en savoir plus sur les fondements de l’oeuvre de Pilote, cet ouvrage est fait pour vous.
À propos de l’auteur
Thomas Carrier-Lafleur est professionnel de recherche et chargé de cours à l’Université de Montréal, où il occupe également le poste de directeur adjoint et coordonnateur de la recherche du Laboratoire CinéMédias. Dans une perspective intermédiale qui s’intéresse aux processus de transposition écranique des textes littéraires, ses travaux portent sur la littérature française et québécoise ainsi que sur le cinéma québécois. Avec David Bélanger, il a fait paraître l’essai Il s’est écarté. Enquête sur la mort de François Paradis (Nota bene, 2019), qui a été finaliste au Prix Victor-Barbeau et s’est mérité le Prix Jean-Éthier-Blais. Il est aussi codirecteur de Nouvelles vues : revue sur les pratiques, les théories et l’histoire du cinéma au Québec et critique régulier au magasine Spirale. En 2021, il publie à L’instant même Voir disparaître. Une lecture du cinéma de Sébastien Pilote.